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I

Pour ce qui concerne les impressions auditives, j’arrive à des résultats tout à fait différents de ceux du savant viennois ; je puis invoquer, comme lui, en ma faveur, l’observation et l’expérience. Si je consulte simplement le sens intime, je vois que, pour moi, l’image auditive est presque tout dans la représentation de la parole[1]. Hier, en me promenant, je réfléchissais à la note que j’écris en ce moment ; les phrases me venaient, non sous forme de sensations visuelles ou de sensations motrices des mains ou de l’appareil vocal, mais bien sous forme de représentations auditives. Je les entendais comme si je les avais exposées par la parole (avec la différence de la sensation à la représentation). Je ne nie pas que les représentations motrices n’aient un rôle dans ce phénomène ; la preuve en est que quand l’image intérieure devient prépondérante quand je suis seul et dans des circonstances favorables, je me surprends parfois à articuler faiblement les mots que je pense, mais je crois que la représentation motrice est accessoire et qu’elle est suscitée par la représentation auditive à laquelle elle est associée (association par concomitance). Le témoignage direct de ma conscience donne une importance prépondérante à l’image auditive, une importance faible ou nulle à l’image motrice. Voyons comment l’expérience confirme ce témoignage.

Je m’appuie sur un fait connu et que l’on a même exagéré, mais qui est vrai dans une certaine mesure et qui, comme on le verra, est vérifié par l’expérience. Une sensation forte de quelque nature qu’elle soit, lorsqu’elle est vive, nette, coordonnée, empêche, sinon absolument, du moins jusqu’à un certain point la production de représentations faibles du même sens. Ainsi l’obscurité est une bonne condition pour la formation des images visuelles, le silence pour la formations des images auditives, le repos pour la formation des images motrices. Je crois que ce fait, pourvu qu’on ne l’exagère pas en prétendant que-la sensation empêche absolument l’image (ce que l’on : a cru et ce qui est faux), ne sera pas contesté. La pathologie mentale l’a reconnu dans la production des hallucinations ; c’est d’ailleurs un fait facilement vérifiable.

  1. M. Egger a examiné cette question dans son remarquable livre sur la Parole intérieure ; je suis sur ce point de son opinion.