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ditionnellement, et chacun « la négation du conditionnel dans ses extrêmes opposés ». Il n’y a pas contradiction au contraire à considérer séparément ces deux termes ; seulement, comme nous l’avons vu, nous ne pouvons pas, étant données les lois de l’esprit, concevoir et connaître ce qu’ils expriment.

Or Stuart Mill a confondu l’inconditionnel et les deux inconditionnés, qu’il faut, au prix d’une contradiction, réunir pour le former, et il continue, tout le long de ce chapitre, à diriger contre l’absolu ou l’infini des critiques qui valent seulement contre l’inconditionnel, mais que le travail même de Hamilton rendait superflues. « Si l’on nous dit qu’il y a un être, personne ou chose, qui est l’absolu, non pas quelque chose d’absolu, mais l’absolu lui-même, la proposition n’a de sens que si l’on suppose que cet être possède dans leur plénitude absolue tous les attributs, qu’il est absolument bon et absolument mauvais, absolument sage et absolument stupide, et ainsi de suite. La conception d’un tel être, je ne dis pas d’un tel Dieu, serait pire qu’un « faisceau de négations » ; ce serait un faisceau de contradictions, et notre auteur aurait pu s’épargner la peine de prouver qu’on ne peut connaître une chose dont on ne peut parler qu’en des termes qui impliquent l’impossibilité de son existence. »

À ce passage, M. Veitch objecte que c’est en réalité de l’inconditionnel et non de l’absolu, d’après la terminologie de Hamilton, qu’il est ici question. C’est sur l’inconditionnel de Hamilton que portent ces critiques, dirigées, à ce qu’il semble, contre son absolu. À les lire, on ne se douterait guère que ce philosophe a considéré l’inconditionnel comme un faisceau de négations seulement, non comme un faisceau de contradictions, et qu’il s’est appuyé sur cette raison seulement pour prouver la vanité de cette notion, l’impossibilité de la forme, sa nullité psychologique : l’inconditionnel, ou, pour employer l’expression de Stuart Mill, l’absolu, est la double négation du conditionnel dans ses extrêmes opposés. Or chacune de ces deux négations, nous l’avons déjà vu, n’a rien en soi de contradictoire ; elle dépasse seulement la portée de la connaissance humaine, puisque celle-ci ne s’applique qu’au conditionnel. Mais les deux négations que contiennent les idées d’absolu et d’infini forment, quand on les réunit sous un seul mot, celui d’inconditionnel, une contradiction, et Hamilton n’a pas perdu sa peine en montrant que Dieu ne pouvait être à la fois, comme le voudrait Cousin, absolu et infini. Peut-être y a-t-il là surtout une question de mots, je veux dire de définitions ; mais le premier soin d’un critique doit être de bien comprendre les définitions de l’auteur dont il s’occupe.

C’est encore une méprise d’identifier les inconditionnés de Hamilton, ce qu’il appelle l’infini et l’absolu, avec les noumènes de Kant. Les noumènes diffèrent tout à fait par leur nature des objets de l’expérience, c’est-à-dire des phénomènes. Ils sont inconnaissables, parce qu’ils existent par eux-mêmes, sans aucune relation avec nous-mêmes, avec notre connaissance. Mais l’inconditionné, à savoir une régression infinie