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veitch. Hamilton.

mais sa réputation lui assurait la confiance du public, et ses jugements étaient acceptés du plus grand nombre sans débats. Peut-être le vent commence-t-il à tourner aujourd’hui. On s’aperçoit que le critique si vanté a eu le tort, difficile à atténuer, de ne pas bien entendre son auteur sur des points essentiels : « Stuart Mill était incapable de se placer au véritable point de vue d’Hamilton, celui de la spéculation abstraite. Il peut être fort dans le domaine des Axiomata media et de leurs applications à la pratique de la vie ; mais il est certainement table où son adversaire était fort. La preuve en est qu’il s’est entièrement mépris sur la doctrine de l’inconditionnel… »

C’est précisément cet exemple que je voudrais prendre pour montrer comment M. Veitch critique à son tour Stuart Mill. Aussi bien est-ce un des points les plus importants de la philosophie d’Hamilton et les plus connus. M. Peisse a traduit dans les Fragments l’article « Cousin-Schelling » publié d’abord dans la Revue d’Edimbourg, en octobre 1829, et l’un des chapitres les plus remarqués du livre de Stuart Mill est celui où, sans prendre la défense de Cousin, l’auteur réfute les arguments de son adversaire. Voyons donc ce que lui reproche le nouveau critique.

Hamilton avait soutenu que l’Inconditionnel « n’apporte aucune connaissance réelle, parce qu’il ne contient rien qui soit même concevable, et qu’il est contradictoire à lui-même, parce qu’il n’est pas une notion simple ou positive, mais seulement un faisceau de négations. Négations du conditionnel dans ses extrêmes opposés, unis ensemble simplement par le lien du langage et par leur caractère commun d’incompréhensibilité. » Stuart Mill cite ce passage et ajoute : « Constatons ici que le premier et le principal argument de Hamilton, c’est que nos idées de l’infini et de l’absolu ne sont qu’un faisceau de négations. »

Il n’a pas compris, objecte M. Veitch, la distinction faite par son auteur entre inconditionnel et l’inconditionné. Celui-ci, c’est l’infini, ou l’absolu, considérés chacun séparément. Ces deux idées d’absolu et d’infini, c’est-à-dire celle du limité inconditionnel et celle de l’illimité inconditionnel, ne peuvent pas être positivement saisies par l’entendement : car l’esprit ne peut concevoir, et par conséquent connaître, que le limité et le limité conditionnellement. Mais elles ne sont pas, prises séparément, contradictoires. Au contraire, l’inconditionnel, c’est-à-dire l’idée, à supposer qu’il y ait une pareille idée, de quelque chose qui serait à la fois limité inconditionnellement et inconditionnellement illimité, l’idée de l’absolu et de l’infini réunis dans une seule notion est bien un assemblage de négations et tout à fait contradictoire. C’est une pure illusion sans réalité. Il ne faut donc pas attribuer à l’absolu et à l’infini pris à part, comme le fait Stuart Mill, ce qui n’est vrai, pour Hamilton, que de l’inconditionnel. En d’autres termes, on ne peut pas dire d’un être qu’il est à la fois infini et absolu, si l’on entend par ces mots ce que le philosophe écossais prétend leur faire dire, si le premier désigne l’illimité inconditionnellement et le second le limité con-