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terme qui fait la substance du réalisme scientifique, et, comme la difficulté dans le système de Fichte est la transition de l’ordre spirituel à l’ordre réel, la difficulté ici est le passage de l’ordre réel à l’ordre de la pensée et constitue le dernier problème. Il est assurément impossible de méconnaître les services rendus à la philosophie par le réalisme. Chaque progrès des recherches scientifiques nous fait découvrir de nouveaux aspects de ces notions par lesquelles on a essayé de résoudre les questions spéculatives, et la philosophie a pour tâche d’utiliser les nouveaux matériaux qui nous sont fournis en si grande abondance, Mais le réalisme scientifique à vainement essayé de donner une explication métaphysique du monde. Si la pensée n’est, comme il le prétend, qu’un produit, qu’une chose dont les caractères sont dus à la nature des antécédents mécaniques, il nous sera toujours impossible de connaître précisément la nature de ces antécédents, que l’hypothèse elle-même fait extérieurs à la pensée, et l’on ne nous donne pour explication que l’impossibilité de rien expliquer.

« Il faut voir dans cette difficulté, conclut M. Adamson, la preuve manifeste du caractère trop abstrait, trop exclusif, du principe adopté. Il n’est pas possible que la théorie d’une pensée considérée comme une chose ou un produit serve aussi à expliquer la pensée comme conscience de soi. La réflexion sur soi-même, dans laquelle la conscience individuelle dépasse sa propre individualité, n’est pas explicable par la notion de composition mécanique. Le réalisme scientifique n’est pas plus heureux dans l’application de sa conception favorite, celle de développement. Ni l’évolution de la conscience, ni la nature concrète de la conscience qui apparaît comme le terme de l’évolution, ne sont pleinement expliquées par la simple considération dés éléments les plus abstraits enveloppés dans l’évolution. La vraie notion de l’humanité ne peut être trouvée dans une pensée encore en germe, mais bien dans la pensée avec toute la plénitude déjà de sa vie et de sa réalité concrètes. L’histoire extérieure des degrés par lesquels a passé la pensée et la civilisation est sans doute un auxiliaire indispensable à la réflexion philosophique ; mais elle ne saurait fournir une solution adéquate de cette question : quel est le sens de l’expérience ? Il est impossible de traiter à fond toute la masse des détails empiriques, sans une discussion plus profondément métaphysique, c’est-à-dire plus systématique des notions qui rendent l’expérience intelligible pour le sujet conscient. Il n’y a pas de contraste plus frappant que celui du réalisme scientifique et de cette philosophie dont la Théorie de la Science est le type ; ils se complètent néanmoins l’un par l’autre et ce contraste fait voir quel doit être le but de nos efforts spéculatifs : tenter d’aboutir à une conciliation, »

A. Penjon.