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adamson. Fichte.

n’en contenait pas moins des germes que la philosophie allemande s’est surtout donné la tâche de : développer. La Théorie de la science est le premier ouvrage qui ait servi à ce développement. On peut dire que la méthode critique a été appliquée pour la première fois par Fichte avec une pleine conscience de sa valeur. Mais, quelque vigueur que ce philosophe ait déployée pour bien expliquer sa pensée, il ne parvint jamais à dépouiller sa doctrine d’un certain air d’idéalisme subjectif. La conscience de soi, dont il fait le dernier fondement de la réalité, n’est pas, pour lui, la conscience individuelle, mais cette conscience dans laquelle, par laquelle les individus existent et sont reliés les uns aux autres. Il essaya vainement de bien marquer cette distinction. Les applications spéciales de sa méthode dans la sphère du concret n’ont pas suffi pour faire perdre son caractère trop abstrait à sa doctrine. Bien que ses œuvres témoignent d’une subtilité et d’une habileté peu communes, il n’est pas pervenu à déduire du principe critique, qu’il comprenait cependant à merveille, toute une philosophie ; les résultats de cette déduction ne forment pas un tout complet et parfaitement enchainé. Il était réservé à un autre philosophe de reprendre le principe critique et, avec le secours des travaux de Fichte et de Schelling, de fondre dans un vaste système tout ce qui, chez ses devanciers, avait de la valeur. Auprès de l’œuvre de Hegel, celle de Fichte n’apparaît plus guère que comme une introduction. Il est vrai que l’introduction l’emporte, à quelques égards, sur le système : le sujet s’y trouve traité avec plus d’indépendance. Mais, en ce qui concerne la solution du problème philosophique, il n’y a rien dans la Théorie de la science qui ne soit développé d’une manière plus concrète et avec plus de plénitude dans les doctrines de Hegel.

Est-il utile maintenant de rechercher quel est le rôle de l’œuvre de Fichte au point de vue de ce que l’on peut appeler l’opposition radicale des théories philosophiques, l’opposition entre l’idéalisme hégélien et le naturalisme scientifique ou réalisme ? M. Adamson, que j’ai déjà suivi pas à pas dans ces considérations générales, ne fait à ce sujet qu’une simple remarque. Mais elle nous permet de voir nettement le point vers lequel, autant qu’on peut le conjecturer, la pensée philosophique doit se diriger et où se rencontrent et se touchent les doctrines opposées. L’idée la plus haute à laquelle Fichte soit parvenu, celle qu’il exprime dans ses derniers ouvrages plus clairement que dans la Théorie de la science, est celle d’un ordre divin ou spirituel dont les esprits individuels sont la manifestation ou la réalisation, à la lumière duquel la vie humaine et tout ce qui l’entoure apparaissent comme un progrès continu à travers des degrés toujours plus élevés jusqu’à la réalisation de la fin dernière de la raison. Cette conception permet de concilier ces oppositions de pensées qui jouent un si grand rôle en philosophie. Mais ce qui manque dans le système de Fichte est cette réconciliation définitive du développement spirituel de la raison et du développement naturel, historique de la nature et de l’humanité. Or c’est ce second