Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 16.djvu/457

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
453
NOLEN. — les logiciens allemands

les modes du raisonnement syllogistique. Qu’il nous suffise de dire ici que la doctrine de la quantification, en exigeant que la quantité de l’attribut soit expressément déterminée dans toute proposition et mise en harmonie avec celle du sujet, conduit à réduire toute proposition à une équation et tout syllogisme à une série d’équations aux membres équivalents. Elle introduit par là une simplification extrême dans la théorie syllogistique, qu’embarrassait la multitude des règles inutiles ou contradictoires. Enfin, en faisant prédominer, dans l’analyse des éléments du syllogisme, le point de vue de la quantité sur celui de la qualité, Hamilton ouvre la voie où se sont engagés après lui les partisans décidés de la logique mathématique[1].

Morgan et Boole, dominés par leurs études spéciales, entreprennent, en effet, de ramener au calcul les opérations de la pensée discursive. Boole croit pouvoir ramener la qualité à la quantité et faire de la logique une province du calcul, et du raisonnement syllogistique un cas particulier de l’algèbre. Hegel avait déjà protesté dans le 3e livre de sa Logique contre l’invasion des méthodes de l’arithmétique dans le domaine de la logique. Stanley Jevons se charge, à son tour, de réfuter l’erreur de Boole et de maintenir la distinction du nombre et de la notion logiques. Il n’a pas de peine à démontrer que le calcul est tributaire de la logique, bien loin de la dominer.

Stanley-Jevons n’en poursuit pas moins le même dessein qu’Hamilton et Boole, celui de traiter les syllogismes comme des séries d’équations, et d’emprunter à l’algèbre une partie de ses symboles et de ses procédés pour éclairer les opérations logiques. Il fait reposer le raisonnement sur le principe de la « substitution des semblables », qui est le principe même du calcul algébrique. Et il se flatte d’avoir par là non seulement réussi à perfectionner les démonstrations de l’ancienne syllogistique, mais découvert la démonstration de cas qui avaient échappé jusque-là aux prises de la logique traditionnelle[2].

Jevons ne tarde pas à prendre conscience de l’accord de ses principes avec les vues émises deux siècles plus tôt par le génie si profondément logique du grand Leibniz. L’alphabet logique du logicien anglais réalise, en une certaine mesure, le projet de cette « caractéristique universelle », qui avait séduit de si bonne heure et occupé si longtemps l’esprit inventif du philosophe allemand. Il

  1. Voir l’excellente analyse de M. Liard. Les Logiciens anglais contemporains, Germer Baillière.
  2. Stanley Jevons, Principles of science, 2e édition, p. 90 et sq.