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s’agit d’un système de lettres représentant les éléments irréductibles des concepts logiques, comme fait l’alphabet pour les sous simples du langage parlé : les combinaisons de ces signes suffiraient à traduire toutes les idées complexes que la pensée construit à l’aide des idées simples, tout comme les combinaisons des lettres de l’alphabet répondent à l’infinie diversité des sons plus compliqués que la voix humaine peut produire. Il n’y aurait plus alors qu’une seule langue des idées logiques, comme il n’y a guère qu’un seul et même alphabet pour toutes les variétés de la parole humaine[1]. Ou, si l’on aime mieux, il n’y aurait plus qu’une langue des concepts, comme il pourrait n’exister dès maintenant entre les peuples civilisés qu’un système de signes pour les nombres ou les relations algébriques. Toutes les discussions prendraient aisément fin. « Il suffirait, dit Leibniz, que les adversaires, laissant de côté le fracas des paroles, se donnassent la peine de prendre la plume en main et de dire : Calculons, comme on fait en arithmétique lorsqu’il s’agit de reconnaître une erreur de calcul[2]. »

Stanley Jevons va si loin dans la voie indiquée par Leibniz, qu’il imagine une machine à calcul logique, comme on a inventé des machines à calcul arithmétique. On n’a qu’à presser, parmi les vingt et une touches dont se compose le clavier d’une sorte de petit piano, celles qui répondent aux lettres et aux signes de l’algèbre logique, et l’on voit apparaître, sur un abécédaire qui occupe la face de la machine, toutes les combinaisons compatibles avec les prémisses posées, et les conclusions légitimes qui en dérivent[3].

Sans méconnaitre l’originalité et le prix de ces ingénieuses inventions, on peut se demander si tout raisonnement se laisse ramener, comme les équations algébriques, au principe unique de la substitution des identiques ; et si cette imitation des symboles mathématiques est bien propre à traduire les relations d’éléments hétérogènes comme le sont des concepts logiques. Tout en faisant le cas qu’il convient des adhésions considérables que le principe de la substitution a rencontrées en Allemagne comme en Angleterre, nous devons nous souvenir qu’elles émanent surtout d’esprits familiers avec les méthodes de la science ; et nous nous défierons avec Lotze[4] des préventions trop excusables de mathématiciens distingués, comme Ernst Schröder où Delbœuf, en faveur d’une théorie qui répond si bien à leurs plus chères habitudes.

  1. Stanley Jevons, préface de la 2e édition.
  2. Erdm., Leibniz, p. 89.
  3. Stanley Jevons, Principles of science, p. 107 et sq.
  4. Lotze, Logik, 2e édition, p. 255.