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NOLEN. — les logiciens allemands

Les intéressants essais qu’a suscités cette transformation de la logique formelle en ce que nous appellerons volontiers une sorte de logique algébrique n’ont pas épuisé, tant s’en faut, l’originalité des logiciens contemporains. La logique matérielle ou inductive n’a pas été l’objet de tentatives moins nombreuses et moins importantes de rajeunissement. L’œuvre de Bacon a été reprise et considérablement étendue, dans son pays même, par ses modernes disciples Herschel, Whewell, et surtout Stuart Mill et Bain.

Stuart Mill, pour ne parler que du plus célèbre, précise et développe la doctrine baconienne des tables d’absence, de présence et de degré, par sa théorie des méthodes de concordance, de différence, de concordance et de différence unies, des résidus et des variations concomitantes. Sous l’appareil barbare de ces formules logiques, on démêle sans peine l’un des efforts les plus ingénieux qui aient été faits pour arracher ses secrets au génie des grands expérimentateurs, pour mettre à la portée des esprits moyens, pour révéler souvent à la conscience des maîtres qui les emploient d’instinct les procédés victorieux qui leur asservissent la nature. Nous voyons, à la suite de Stuart Mill et de Bain, combien l’esprit de finesse, dont parle si éloquemment Pascal pour lavoir lui-même si bien pratiqué, est nécessaire à celui qui veut interroger la nature et arracher au sphinx inflexible le sens des énigmes sans cesse renouvelées qu’il oppose à notre curiosité.

Stuart Mill ne se contente pas d’étendre la logique expérimentale de Bacon. À l’exemple de l’auteur du Novum organum, il veut porter le dernier coup à la logique péripatéticienne, en soutenant contre Hamilton et ses disciples que la méthode déductive n’est qu’une application détournée de la méthode inductive ; qu’Aristote n’a fait que formuler les règles d’un procédé secondaire et inférieur de la pensée ; et qu’à Bacon et à son école revient l’honneur d’avoir démêlé le procédé primitif et essentiel de la méthode scientifique.

Stuart Mill prétend que la conclusion d’un syllogisme, bien loin de reposer sur la valeur de la prémisse qui sert de majeure, est nécessaire, au contraire, pour établir la solidité de cette prémisse ; en d’autres termes, que la vérité de la majeure ne vaut que par celle de la conclusion. On n’a le droit, par exemple, d’affirmer que tous les métaux sont fusibles qu’autant que l’or lui-même est déjà reconnu fusible : la seconde proposition ne saurait être acquise après la première. Il faut donc accorder qu’en subordonnant ces deux propositions l’une à l’autre d’après les lois du syllogisme, on n’enrichit pas véritablement la connaissance, et qu’on se borne à en analyser le contenu.