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me montre le nouveau Newton, qui saura m’expliquer le plus infime organisme, un brin d’herbe par exemple, comme le physicien anglais réussit à éclairer la formation et les mouvements des grands corps célestes. » Notre science n’est pas en état sans doute de rendre compte de toutes les combinaisons mécaniques qui président à la naissance, au développement, à la vie enfin d’un vulgaire brin d’herbe, pas plus que de tout autre organisme. Mais que de secrets nous avons déjà dérobés à la nature. Les progrès de la physique moléculaire et de la physiologie cellulaire nous ont mis sur la voie des règles simples et fécondes que suivent dans leurs merveilleuses constructions ces architectes obscurs de la matière qui s’appellent les atomes, ces artisans invisibles de la vie que l’on nomme les cellules. Entre les mains d’hommes comme Cl. Bernard et Berthelot, pour ne parler que des nôtres, la chimie organique et la physiologie sont parvenues à imiter, à diversifier même l’œuvre des forces naturelles, et surtout à les plier docilement à nos exigences. Quelque modestes que soient ces premiers succès, ils suffisent à autoriser toutes les ambitions, à encourager toutes les espérances que la biologie moderne fonde sur la méthode expérimentale. Avec le beau livre du grand physiologiste, français l’Introduction à l’étude de la méthode expérimentale, comme avec les brillants articles que, dès 1840, le physiologiste philosophe Lotze dirigeait contre les prétentions surannées du vitalisme allemand, on peut dire que la cause de la logique inductive est définitivement gagnée dans les sciences de la vie, et que les expérimentateurs de notre temps ont réalisé le vœu et même dépassé l’attente des maîtres idéalistes de la pensée moderne.

Ce n’est pas seulement la formation et le développement des organismes, par le jeu des fonctions de la vie, c’est encore la diversité’spécifique des organismes, c’est l’origine et la conservation des espèces que notre insatiable curiosité aspire à comprendre. La physiologie générale ne nous suffit pas : les problèmes de la morphologie sollicitent notre investigation.

Le darwinisme a prétendu dissiper ces nouveaux mystères par l’emploi d’une méthode qui a opéré dans la science entière une révolution profonde, dont les conséquences se multiplient indéfiniment. Hæckel[1], avec l’emportement spéculatif qui caractérise les penseurs de sa race, s’est chargé de livrer au public incertain ou inquiet le dernier mot de la doctrine darwinienne. Il célèbre résolument en elle le triomphe complet du mécanisme, et la défaite définitive

  1. Hæckel, Morphologie der Organismen.