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NOLEN. — les logiciens allemands

de l’antique téléologie. La sélection naturelle, appuyée sur l’hérédité, doit suffire à rendre compte de la transformation des espèces, et par suite de celle de toutes leurs facultés : expliquer, par exemple, le passage de l’obscure sensibilité de l’animal à la conscience réfléchie de l’homme. Hæckel éprouve sans doute plus de difficulté à franchir la distance qui sépare la matière de la sensibilité, cette propriété universelle de l’organisme vivant, suivant le mot de CI. Bernard : mais il ne doute pas que sa théorie du carbone ne suffise à éclairer la transition. D’un autre côté, Spencer, avec plus de rigueur et de conséquence, sinon avec autant de retentissement que Hæckel, avait déjà formulé avant Darwin, et entrepris depuis de démontrer par les faits ce grand axiome de l’école évolutioniste : que tous les phénomènes de l’univers, dans l’ordre social ou moral, comme dans l’ordre physique, ne sont que la transformation, incessante et réglée par les lois générales de l’évolution, des forces physiques et chimiques qui s’agitent au sein de la matière. Spencer n’hésite pas à conclure avec Hæckel que l’histoire des sociétés, comme la vie de la nature, n’est qu’un vaste processus physico-chimique.

Les logiciens ont à se prononcer sur la valeur de cette synthèse audacieuse. Il leur appartient de défendre contre l’entraînement de l’esprit de système et la séduction des résultats obtenus les exigences et les droits de la pensée méthodique. À eux de décider en dernier ressort si le mécanisme scientifique est vraiment responsable de toutes les théories dont on lui fait honneur ; et si la méthode expérimentale a bien fait seule tous les frais des découvertes qu’on lui attribue. Les esprits qui n’ont pas perdu le sens critique au milieu des prétentions rivales des écoles scientifiques sont tous d’accord pour nier, non pas certes la vérité relative, la fécondité incomparable de la théorie évolutioniste, mais l’identité qu’elle soutient entre ses principes et ceux du pur mécanisme, entre sa méthode et l’analyse expérimentale des physiciens. Ils lui contestent aussi qu’elle ait résolu à l’aide de ses seules forces tous les problèmes qu’impliquent aussi bien l’origine de la vie et celle de la pensée, que la diversité des espèces. On n’a pas eu de peine, en effet, à démontrer que la finalité est partout cachée au fond du prétendu mécanisme de la sélection et de l’hérédité. Ce n’est pas seulement Hartmann dans son livre pénétrant sur la vérité et l’erreur du darwinisme, mais encore Dühring, l’auteur si compétent d’une théorie critique des principes de la mécanique, qui s’appliquent à dissiper l’équivoque des formules darwiniennes. Aux philosophes se joignent les logiciens : et Lange et Lotze et Renouvier protestent avec une égale énergie contre l’assimilation qu’on poursuit entre l’induction des physiciens