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paraît, en logique comme ailleurs, la doctrine qui fait le moins violence aux dispositions défiantes que les leçons de l’expérience ont développées en nous, et sait donner pourtant à l’instinct invincible de certitude qui persiste en nos esprits la satisfaction essentielle qu’il réclame.

Nous ne croyons pas que la logique classique de Port-Royal suffise aux besoins de la pensée contemporaine. Sans doute elle combat, au nom du bon sens méthodique et de la science cartésienne d’alors, des ennemis contre lesquels l’homme de tous les temps ne cessera d’avoir à lutter. Si les qualité occultes de l’ancienne physique ne sont plus à redouter aujourd’hui, les mots sonores et creux, les abstractions chimériques, les formules décevantes et les raisonnements sophistiques ne se rencontrent-ils pas encore de nos jours, et plus souvent qu’on ne voudrait, dans le langage et les théories des politiques, qui passionnent la faveur publique. Il est toujours utile, comme l’a fait Port-Royal, de défendre les esprits contre les équivoques et les surprises des mots, et de mettre le jugement en garde contre les prestiges de l’imagination et des passions. Mais la science du présent, avec ses visées ambitieuses et son impatiente ardeur d’étendre à l’univers entier des phénomènes ses principes et ses méthodes d’explication ; mais les exigences critiques que les enseignements de l’histoire et les leçons de Kant ont communiquées à la conscience moderne ne sauraient se contenir dans les limites étroites que le génie mesuré des logiciens de Port-Royal assigne et à notre curiosité et à nos doutes. Il faut donc, sinon d’autres éducateurs à la jeunesse, au moins d’autres conseillers à la maturité des intelligences contemporaines, que les instituteurs discrets et un peu circonspects de Port-Royal. Souhaitons seulement au futur logicien qui aura l’honneur de rédiger pour la prochaine génération le code sévère de la raison critique de ne pas trop faire regretter la gravité aimable, la clarté et l’agrément de la forme, les qualités littéraires enfin, qui sont si puissantes sur l’âme du lecteur, parce qu’elles sont l’expression même de l’âme de l’auteur, et qui ont fait si longtemps le prix et le succès de la logique d’Arnaud et de Nicole.

Quel que soit le livre que l’avenir appelle à la remplacer, le philosophe ne peut que s’applaudir des efforts poursuivis dans tous les sens par les logiciens contemporains. Le spectacle de ces généreuses tentatives, malgré l’inquiétude qui les accompagne et les doutes qu’elles laissent après elles, fait honneur au génie de l’homme et donne raison à cet éloquent aphorisme de Pascal : « L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature, mais c’est un roseau pen-