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NOLEN. — les logiciens allemands

consacré à la même tâche, dans d’interminables essais ou de volumineux traités, le premier les inépuisables inspirations d’une imagination qui s’emporte aisément, le second les trésors de sa vaste érudition et de sa culture philosophique. La multiplicité et l’énergie de ces efforts de la sociologie naissante montrent assez l’intérêt croissant qui s’attache de notre temps aux problèmes de l’économie et de la politique, et justifient l’attention que les logiciens contemporains n’ont pas manqué d’accorder aux méthodes de la science nouvelle.

Ni la logique déductive, ni la logique inductive, dont nous avons cherché dans ce qui précède à caractériser les récentes transformations et les développements, n’embrassent dans toute son étendue pas plus qu’ils ne sondent dans toutes ses profondeurs le problème si complexe de la connaissance et de la certitude. Elles supposent résolue la redoutable antinomie que le scepticisme de tous les temps a élevée entre la réalité et l’esprit, entre l’être et la pensée. Nous avons toujours à nous demander si c’est bien à la réalité que s’appliquent les lois laborieusement élaborées de nos méthodes. La pensée réussit-elle à autre chose qu’à enserrer dans la trame subtile de ses raisonnements la matière toute subjective de ses sensations ? Quel rapport concevoir entre nos sensations et les causes qui les produisent en dehors de notre conscience ? Et les lois elles-mêmes auxquelles l’entendement assujettit ses sensations pour les coordonner et en rendre intelligible la mobile confusion traduisent-elles, à leur tour, autre chose qu’un besoin également subjectif de notre esprit ? D’un seul mot, que valent les formes de la pensée appliquées à l’être ?

Le débat, aussi ancien que la philosophie, a été renouvelé de notre temps par l’application de la théorie évolutioniste et du calcul des probabilités aux problèmes de la connaissance : aucun des logiciens allemands et français n’y est demeuré étranger. Les diverses théories de la connaissance qu’il a suscitées ne font que reproduire sous des formes nouvelles l’antique opposition de l’idéalisme et du positivisme, qui s’accusait déjà dans les démêlés de Platon et de Protagoras[1].

Nous n’hésiterons pas pour notre compte à trancher le débat dans le sens de la philosophie kantienne. À notre siècle, qui doute de la vérité absolue comme du bonheur, l’idéalisme prudent de Kant nous

  1. Voir le livre d’E. Laas, Idealismus und Positivismus (1er partie, Berlin, wviedmann, 1879), où le problème est posé avec une grande sagacité, et résolu dans le sens du positivisme.