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LYON. — le monisme en angleterre

une autre considération en redouble à nos yeux l’intérêt. L’écrit à “peine paru provoqua dans les universités de vives controverses ; des maîtres éminents intervinrent ; plusieurs répliquèrent. Toute une discussion, abondante, pressée, s’engagea autour de la petite publication, positivement passée au crible. Une sorte de classement des partis s’est ainsi opérée, d’où il ressort qu’en la phénoméniste Angleterre la philosophie de la pensée compte encore d’obstinés défenseurs. D’autre part, la minutie même des critiques et la diversité des objections nous sont une garantie que le problème a été scruté à fond ; toutes les positions que le philosophe peut prendre, relativement à la question en litige, ont été tenues. Pourquoi faut-il qu’une mort prématurée ait ravi le professeur Clifford aux sciences qu’il enseignait avec éclat et à cette philosophie où il s’échappait volontiers des sécheresses mathématiques[1] ? Presque au lendemain de son audacieuse excursion dans le domaine de l’ontologie, il a disparu, laissant à d’autres le soin d’interpréter la doctrine esquissée à peine et l’honneur de la soutenir. On verra si le dépôt a été suffisamment gardé.

I

Le problème que le professeur Clifford s’était d’assez bonne heure posé est non pas précisément, comme plusieurs de ses critiques l’ont indiqué, celui des existences en soi, mais bien celui de la distinction entre le sujet et l’objet de la pensée. Que les deux problèmes soient connexes, que même le second conduise inévitablement à toucher au premier, l’exemple du pénétrant auteur le prouve. Mais à la rigueur on peut concevoir un objet qui s’oppose aussi fortement que possible au sujet qui en a connaissance sans rompre pour cela le cercle des phénomènes. D’ailleurs nous ne saurions trop scrupuleusement dessiner la ligne que la pensée de notre métaphysicien a pu suivre, de sorte qu’à notre tour nous puissions refaire exactement le chemin qu’elle a parcouru.

Dès le 7 février 1874 parut à l’Academy un article, du reste peu remarqué, où le professeur Clifford jetait rapidement l’idée première, qu’il devait reprendre et développer si heureusement. C’était un compte rendu d’un volume de Lewes : les Problèmes de la vie et de l’esprit. Lewes, tout en proclamant, selon les exigences de l’empirisme, que l’état élémentaire de conscience et de pensée (le feeling,

  1. Les publications philosophiques et scientifiques de W.-K. Clifford ont été réunies et éditées sous le titre : Lectures and Essays (2 vol. , London, 1879). Pour le compte-rendu voir la Revue philosophique, 1830, t.  IX, p. 450 et suiv.