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LYON. — le monisme en angleterre

qu’en aucun cas votre conscience ne peut devenir un objet pour la mienne. Quant à pousser les conséquences, à rechercher quel jour un pareil principe admis jetterait sur les difficultés attenantes à la question du moi ou du non-moi, peut-être l’écrivain pensa-t-il que ce n’était ni l’occasion ni le lieu ; peut-être son travail de réflexion n’était-il pas achevé et lui manquait-il de s’être lui-même fixé sur les points incertains. Quoi qu’il en soit, quatre ans plus tard, il comblait le desideratum. Le 1er janvier 1878, il publiait dans le Mind sous ce titre : De la nature des choses en soi, une étude capitale où il formulait à nouveau son principe des consciences inférées, l’élucidant, l’élargissant et lui empruntant toute une métaphysique.

Cette étude, nous ne la transcrirons pas littéralement, mais nous espérons garder à notre résumé la fidélité d’une traduction.

Posons d’abord que mes sentiments (nous rappelons une fois pour toutes que nous emploierons exclusivement ce mot comme équivalent de l’intraduisible feelings, lui-même singulièrement élargi par le professeur Clifford[1]) se distribuent en deux rangées distinctes : l’une interne ou subjective, où l’impression de peine suit l’annonce d’une mauvaise nouvelle, où l’abstraction « chien » symbolise les perceptions que j’ai eues de divers chiens ; l’autre externe ou objective[2], où le fait de lâcher une chose que je tiens est suivi de la vue d’un corps qui tombe ou du son de sa chute. — Ce second ordre est celui dont traite la physique, science qui considère les relations uniformes des objets dans le temps et dans l’espace. Notons bien — au moins jusqu’à nouvel ordre — que par objets ici nous signifions des groupes de mes sentiments qui persistent d’une certaine manière comme groupes, mais qui ne sont que des assemblages de changements dans ma conscience et rien en dehors. Notre définition de l’objet embrasse toutes les inductions de la science. Quand je tiens qu’il y a de l’hydrogène dans le soleil, j’entends que, si je pouvais m’en procurer dans une bouteille et le combiner avec la moitié de son volume d’oxygène, je me procurerais ce groupe de sensations possibles que nous appelons eau. Les inférences de la physique sont toutes des constatations ou des prévisions de sentiments miens actuels ou possibles ; elles ne me font donc pas franchir ma conscience.

Mais il est des inférences profondément distinctes de celles de la physique, par exemple ma conviction que vous êtes conscient et

  1. M. Herbert Spencer distingue entre les feelings et les relations entre feelings, celles-ci correspondant à de plus ou moins vagues concepts. Le professeur Clifford néglige la distinction
  2. Ce serait la, pour M. Spencer, un cas de relation entre feelings.