Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 16.djvu/489

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
485
LYON. — le monisme en angleterre

ce nouvel adversaire, une cependant est digne de nous arrêter. Ce n’est point celle qui reproche à l’esprit-fonds, de « rééditer la vieille histoire » et de nous donner, comme toutes les abstractions métaphysiques, une énigme de plus ; ni celle qui condamne l’emploi de ces mots « réalité à deux côtés », ou « conscience pure » ou « unités », où « formes ». Il est bien certain que nulle métaphysique ne soulèvera jamais tous les voiles ; quant aux termes plus ou moins métaphoriques auxquels le philosophe a recours, il emploie ceux qu’il trouve, n’étant pas l’auteur de la langue (et nous n’en plaignons pas celle-ci, qui n’y eût sans doute pas gagné en pittoresque).

L’argument que nous tenons à ne point laisser échapper a pour objet de montrer que la conscience telle que la conçoit le professeur Clifford est inexplicable en sa formation. En effet, raisonne M. Josiah Royce, la conscience est définie un complexe d’éléments divers et divers par essence, puisque ce sont des choses en soi. Mais alors comment comprendre que ce complexe forme une unité ? Cette unité vient-elle d’une seule des intégrantes du complexe ? Alors les autres composantes sont inutiles, et un seul sentiment suffit à constituer une conscience, ce que nie notre hypothèse. Sera-ce de la somme des sentiments assemblés que cette unité saillit ? Impossible, puisque par eux-mêmes et essentiellement ces sentiments sont une pluralité. Or une pluralité ne pourrait dire « je », comme il arrive à ma conscience. Et quand j’examine cette conscience, je trouve que tout y est multiple, tout, sauf moi-même et l’acte d’examiner.

Il n’y aurait pas besoin de beaucoup forcer ce raisonnement pour le ramener à l’une des principales objections proposées par M. Gurney. Tout à l’heure, on nous disait que la conscience était apparue tout à coup ; on nous dit maintenant que le moi existe par lui-même, au-dessus et comme à part des faits conscients. Le point de vue est en réalité le même. Nous serions cependant autorisé à témoigner à M. Josiah Royce plus de sévérité. Eh quoi, c’est lui, l’ennemi des « abstractions », le censeur impitoyable des « entités métaphysiques », c’est lui qui vient élever au rang de chose en soi, d’existence absolue, le moi conscient ! Comme si ce moi supérieur à mes phénomènes n’était pas au premier chef une entité ! Par des voies différentes, les Écossais et l’école de Maine du Biran ont poursuivi ce mirage : l’intuition transcendante du moi ; mais qu’un penseur qui se pique de positivité continue l’aventure, nous n’en sommes pas légèrement surpris. Chercher le moi en dehors des faits est aussi décevant que poursuivre une substance dépouillée de ses attributs. Le