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moi est bien, si l’on veut, quelque chose de plus que la somme de ses éléments, mais un quelque chose inséparable de cette somme. Il n’en faut pas plus à notre doctrine ; il n’en faudrait même point tant, puisque, selon elle, tout atome d’esprit-fonds est conscient en puissance et virtuellement un moi.

Dans son second article, abordant pour son propre compte le problème des rapports de l’être avec la pensée, M. Josiah Royce édifiait à son tour une doctrine métaphysique. Avec une prudence extrême, il prenait soin de rappler qu’il entendait bien n’esquisser ni plus ni moins qu’une hypothèse. Précaution bien en pure perte. Aucune philosophie ne prétend guère à la métallique vérité des axiomes. Ici, ce que l’on offrait avec d’infinies ressources de savoir et d’habileté, c’était un retour indirect à Berkeley, mais à un Berkeley modernisé, à un Berkeley dépourvu de tout appareil théologique. La réelle unité des choses se réduisait à une conscience universelle, dont la fixité et la pérennité garantissait à toute existence par elle réfléchie ses droits objectifs. Mais, dès qu’il répudiait toute interprétation théologique de cette « hypothèse », dès qu’il se refusait, par conséquent, à situer sous cet éternel mouvement de l’univers l’action indéfectible de l’être qui est à lui-même sa fin, quel sens M. Josiah Royce pouvait-il bien attacher à ces mots « universelle conscience ? » Désignait-t-il l’Unité par excellence, il ne pouvait éluder la solution théologique qu’il condamne. Veut-il dire un complexe de toutes les réalités par lui-même pourvu de spontanéité et d’intelligence, tout comme le complexe de mes sentiments s’est parachevé en mon âme consciente, que nous voilà près du professeur Clifford !

IV

Il est une dernière critique, ramassée, concise, que nous avons réservée, parce que seule peut-être elle touche à la conception maîtresse d’où dépend la fortune de la théorie. Jusqu’ici, les polémiques n’ont entamé que les côtés ; c’est en pleine tête que sera maintenant visée la philosophie de l’esprit-fonds.

Tous ces ingénieux agencements de’considérations empruntées au principe évolutionniste, à la loi de continuité, aux mesures sensationnelles, aux formes numériques, à des applications de la règle de trois, ont résisté à l’attaque des logiciens et des psychologues, parce que les assaillants semblaient respecter la proposition fondamentale sur laquelle repose tout l’échafaudage : celle qui condense la théorie des éjets. Or, cette proposition, un écrivain moins facile à prendre le