Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 16.djvu/513

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
509
TARDE. — l’archéologie et la statistique

rieur rieur. Leurs sensations propres sont en quelque sorte leurs tableaux graphiques spéciaux. Chaque sensation, couleur, son, saveur, etc., n’est qu’un nombre, une collection d’innombrables unités similaires de vibrations représentées en bloc par ce chiffre singulier. Le caractère affectif des diverses sensations est tout simplement leur marque distinctive, analogue à la différence qui caractérise les chiffres de notre numération. Que nous apprend le son de ce do, de ce , de ce mi, sinon qu’il y a dans l’air ambiant, pendant telle unité de temps, tel nombre proportionnel par seconde de vibrations dites sonores ? Que signifie la couleur rouge, bleue, jaune, verte, etc., si ce n’est que l’éther est agité de tel nombre proportionnel de vibrations dites lumineuses, pendant telle unité de temps ? Le tact, comme sens de la température, n’est aussi qu’une statistique des vibrations calorifiques de l’éther, et comme sens de la résistance et du poids, qu’une statistique de nos contractions musculaires. Seulement, à la différence des impressions de la vue et de l’ouïe, celles du toucher se suivent sans proportions définies ; il n’y a pas de gamme tactile. De là l’infériorité relative de ce dernier sens. Ainsi font le statisticiens quand ils négligent de joindre aux chiffres bruts qu’ils nous fournissent leur rapport proportionnel. Quant à l’odorat et au goût, s’ils sont jugés et à bon droit, tout à fait inférieurs, n’est-ce pas parce que, en mauvais statisticiens qu’ils sont, ne se conformant pas à nos règles élémentaires, ils se contentent de chiffres mal faits, expression d’additions mal faites où les unités les plus dissemblables, vibrations nerveuses de toutes sortes et actions chimiques historiques ont été groupées, pêle-mêle, comparables à celui d’un mauvais budget ?

On a pu observer que les journaux commencent à donner quotidiennement des courbes graphiques qui expriment les variations des diverses valeurs de la Bourse, et autres changements utiles à connaître. — Reléguées à la quatrième page, ces courbes tendent à envahir les autres, et bientôt peut-être, dans l’avenir à coup sûr, elles prendront les places d’honneur, quand saturées de déclamations et de polémiques comme les esprits très lettrés commencent à l’être de littérature, les populations ne rechercheront plus dans les journaux que des avertissements précis, froids et multipliés. — Les feuilles publiques, alors, deviendront socialement ce que sont vitalement les organes des sens. Chaque bureau de rédaction ne sera plus qu’un confluent de divers bureaux de statistique, à peu près comme la rétine est un faisceau de nerfs spéciaux apportant chacun son impression caractéristique, ou comme le tympan est un faisceau de nerfs acoustiques.

L’analogie est manifeste ; elle se fortifie si l’on compare le rôle des