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même en train de se faire et nous le révèlent toujours régulièrement sans interruption. — Mais si l’on prend à part chacune de ces différences, on verra qu’elles sont toutes plus apparentes que réelles, et qu’elles se réduisent à des différences de degrés. Si la statistique continue à faire les progrès qu’elle a faits depuis plusieurs années, si les informations qu’elle nous fournit vont se perfectionnant, s’accélérant, se régularisant, se multipliant toujours, il pourra venir un moment ou de chaque fait social en train de s’accomplir, il s’échappera pour ainsi dire automatiquement un chiffre, lequel ira immédiatement prendre son rang sur les registres de la statistique continuellement communiquée au public et répandue en dessins par la presse quotidienne. Alors, on sera en quelque sorte assailli à chaque pas, à chaque coup d’œil jeté sur une affiche ou un journal, d’informations statistiques, de renseignements précis et synthétisés sur toutes les particularités de l’état social actuel, sur les hausses ou les baisses commerciales, sur les exaltations ou les attiédissements politiques de tel ou tel parti, sur le progrès ou le déclin de telle ou telle doctrine, etc., exactement de même que, en ouvrant les yeux, on est assailli de vibrations éthérées qui vous renseignent sur le rapprochement ou l’éloignement de ce qu’on appelle un corps ou tel corps, et sur toutes autres choses du même genre, intéressantes au point de vue de la conservation et du développement de nos organes comme les nouvelles précédentes au point de vue de la conservation et du développement de notre être social, de notre réputation et de notre fortune, de notre pouvoir et de notre honneur.

Par suite, en admettant un perfectionnement et une extension de la statistique poussés à ce point, ses bureaux seraient tout à fait comparables à l’œil ou à l’oreille. Comme l’œil ou l’oreille, ils synthétiseraient, pour nous éviter cette peine, des collections d’unités similaires dispersées, et nous présenteraient le résultat clair, net, liquide de cette élaboration. Et certainement, dans ce cas, il en coûterait moins à un homme instruit de se tenir constamment au courant des moindres changements de l’opinion religieuse ou politique du moment qu’à une vue affaiblie par l’âge de reconnaître un ami à distance ou de voir venir un obstacle assez à temps pour ne pas le heurter. Un jour viendra, espérons-le, où un député, un législateur, appelé à réformer la magistrature ou le code pénal et ignorant (par hypothèse) la statistique criminelle, sera chose aussi introuvable, aussi inconcevable que pourrait l’être de nos jours un cocher d’omnibus aveugle ou un chef d’orchestre sourd.

Je dirais donc volontiers que nos sens font pour nous, chacun à part et à leur point de vue spécial, la statistique de l’univers exté-