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par lui-même une cause, une source d’énergie, il en résulte, nous l’avons vu, que les mêmes principes en des temps différents sont toujours les mêmes principes et, en vertu de l’axiome de contradiction, ne peuvent entraîner des conséquences différentes. La différence du temps, chose tout abstraite, ne suffit donc pas pour expliquer un changement dans les conséquences mécaniques, s’il n’y a pas aussi un changement dans les principes moteurs. De là résulte la conservation de l’énergie dans la nature, qui, loin d’impliquer une contingence, une convenance morale, se réduit, d’après l’hypothèse même de Leibnitz sur le temps, à une nécessité absolue, dérivée de la nécessité qui lie les mêmes conséquences aux mêmes principes.

La conservation de l’énergie, mal à propos confondue par Spencer avec la persistance de la force inconnaissable et absolue[1], n’est que l’application au mouvement du théorème général sur le changement, qui veut que tout changement succède à un changement et, en particulier, tout changement dans l’espace à un autre changement dans l’espace capable de rendre compte du premier sous le rapport de l’espace même. De là l’implication mutuelle des mouvements, leur continuité et leur conservation.

On a objecté[2] que le théorème de la conservation de l’énergie motrice, qui exprime une équation entre deux quantités, « n’a plus de sens appliqué à un monde infini ». — L’artifice de cette objection consiste à supposer une quantité d’énergie formant un tout fini dont on affirmerait la conservation. Mais, appliqué à l’infini, le théorème signifie simplement qu’il n’y a nulle part création ou anéantissement d’énergie motrice et de mouvement, ni à un point ni à un autre de l’espace infini et du temps infini. C’est une négation et non une addition ou somme proprement dite. Or, une négation peut fort bien s’étendre à l’infini sans perdre « son sens ». Le principe de la conservation de l’énergie est un symbole du principe de causalité empirique, qui lui-même enveloppe l’identité logique des mêmes conséquences avec les mêmes prémisses. Il en est de même du principe d’inertie. Un point matériel, librement abandonné à lui-même, se meut d’un mouvement rectiligne et uniforme (ce qui comprend le cas où la vitesse est nulle et où le point est en repos). M. Tannery[3] objecte que la liberté d’un point matériel abandonné à lui-même est

  1. « La force dont nous affirmons la persistance est la Force absolue… Par la persistance de la force, nous entendons la persistance d’un pouvoir qui dépasse notre connaissance et notre conception. » (Premiers principes, 202.)
  2. Par exemple M. Tannery.
  3. Revue philosophique, 1879, II, 479.