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FOUILLÉE. — causalité et liberté

infaillible, porte cependant sur des réalités contingentes, non plus sur des vérités logiquement nécessaires. L’infinité supprimerait ainsi la nécessité en conservant la certitude. Telle était la pensée de Leibnitz, qui eût trouvé étrange de chercher un fondement à la contingence dans la négation de toute infinité. Il se figurait au contraire que les déterminations de nos volontés, en ayant leur raison dans une infinité de petites perceptions dont quelques-unes seulement sont aperçues, deviennent contingentes.

À cela on peut répondre que l’obscurité ne saurait créer la liberté et que l’infinité des petites causes qui produisent un grand effet n’empêche pas l’effet d’être nécessaire. Quant à cette « harmonie », à cette « métaphysique », à cette « morale », que Leibnitz voulait introduire partout avec l’infinité et la contingence, elle se réduit à l’équivalence des effets aux causes, à ce que nous appelons la conservation de l’énergie dans la nature, c’est-à-dire à ce qui constitue pour la philosophie moderne, depuis Kant, l’essence même du mécanisme. Avant Kant, chacun le sait, le type et la mesure de la nécessité était l’identité logique ; or, il n’y a pas de contradiction apparente à supposer qu’il existe une certaine quantité d’effet, par exemple d’énergie, dans un instant, et une quantité plus grande ou plus petite dans un autre ; c’est pour cette raison apparente que Leibnitz voyait quelque chose de contingent dans la conservation de l’énergie et dans l’équivalence même des effets aux causes. C’est là l’excuse de Leibnitz, mais non la justification de sa doctrine. En premier lieu, il n’est pas certain que toute nécessité se ramène au principe d’identité : le principe des « causes efficientes » peut impliquer une nécessité physique et mécanique non moins inéluctable que la nécessité logique et abstraite, qui n’est peut-être elle-même qu’un dérivé et une formule de la nécessité réelle et causale. De ce qu’une chose ne serait pas contradictoire, il n’en résulterait donc nullement qu’elle fût contingente, encore moins qu’elle fût esthétique ou morale. En second lieu, Leibnitz n’était guère conséquent avec ses propres principes quand il ne ramenait pas l’uniformité des lois naturelles et la conservation de l’énergie à une simple application du principe d’identité. En effet, Leibnitz admettait (à tort ou à raison, peu importe) que le temps n’est pas une réalité, une force, une cause, conséquemment un principe de changement et de mouvement, mais qu’il est un simple rapport et un simple ordre entre les réalités, entre les forces et causes efficaces qui seules sont des principes de mouvement. Or, si par hypothèse on accepte cette prémisse, que le temps n’agit pas par lui-même et n’est pas