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sitaire déterminée, les symptômes successifs et chaque jour plus graves de son état morbide se lient par une chaîne continue à son état antérieur et semblent n’en être que la dérivation insensible, quoique la maladie soit entrée en lui à l’instant précis où il a reçu un germe microscopique qu’il aurait pu ne pas recevoir. Quand l’idée d’un télégraphe électrique a lui dans un cerveau européen, à ce moment précis une très haute marche de l’escalier du progrès a été franchie d’un saut inopiné, quoique la société européenne ait continué alors à présenter sa physionomie habituelle, lentement et graduellement modifiée depuis. Je me persuade que le passage d’une espèce vivante à une autre espèce a dû s’opérer ainsi, par l’introduction à un instant précis ou par l’éclosion accidentelle et fortuite de quelque chose de plus ou moins analogue peut-être à une découverte, à une invention, à un plan régénérateur de l’espèce, apparu quelque part au sein d’une cellule déterminée, puis répandu par degrés durant une période critique, transitoire et relativement brève.

Mais, quoi qu’il en soit de cette conjecture, n’avons-nous pas de bonnes raisons directes de n’accepter que sous bénéfice d’inventaire, en sociologie, les deux thèses dans lesquelles on peut résumer la pensée évolutionniste, à savoir qu’un changement brusque des sociétés n’est jamais possible, et qu’il n’est jamais désirable ? L’évidence des faits contraires force Ferri à faire ici quelques concessions. Il convient, comme Spencer, que l’évolution sociale peut être accélérée aussi bien que retardée par des initiatives individuelles, mais seulement « dans des limites nécessairement imposées par le caractère organique et psychique de chaque peuple », limites on ne peut plus vagues d’ailleurs où on ne peut plus élastiques. Il admet aussi, avec Laveleye, qu’une révolution politique est devenue très facile, mais il soutient qu’une révolution sociale est impossible. Qu’il se rappelle cependant le temps, pas très éloigné, où les révolutions politiques elles-mêmes paraissaient chose aussi impossible que les révolutions sociales à présent, Comment donc, d’impossible qu’elle était une révolution politique est-elle devenue aisée ? C’est l’effet de la centralisation croissante des autorités, de la prépondérance acquise par les capitales, et de la facilité progressive avec laquelle les exemples partis de ces centres rayonnants se transmettent d’un bout à l’autre du territoire dans les administrations et l’armée, c’est-à-dire dans les groupes de la nation où limitation est le plus savamment organisée. Mais ne voit on pas que, restreinte d’abord à ces groupes spéciaux, la facilité de limitation et sa vitesse de rayonnement sont en train de s’étendre à tous les citoyens ? Et Paris n’impose-t-il pas de plus en plus à la France, non seulement ses préfets, mais ses conversations, ses mœurs, sa langue, ses caprices, son accent même ? — Le terrain est tout pré paré pour une palingénésie improvisée, les communistes ne s’y trompent pas. Il s’agit pour eux de mettre la main sur deux ou trois capitales, cela suffit, l’Europe suivra. En attendant, il devient clair, malgré