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ANALYSES.e. ferri. Socialismo e criminalità.

les sentiments sont simplement des idées tassées et installées à demeure depuis longtemps et qu’il n’y a pas hétérogénéité entre ces deux forces. Se persuader que 30, 40, 50 ans ne sauraient suffire, si l’on s’empare de l’éducation, pour extirper du sein d’un peuple les idées religieuses, les sentiments religieux de dix-huit siècles de son passé, et à fortiori les idées morales, les sentiments moraux d’origine plus ancienne encore, et fonder cette persuasion uniquement sur la prétendue loi de continuité historique ou sur le dogme, comme dit Ferri, de l’évolution lente et graduelle des organismes vitaux ou sociaux, c’est se rassurer à bon marché ; et je comprends après cela que les révolutionnaires ne fassent pas peur aux évolutionnistes déterminés tels que notre auteur, qui est si plein de mansuétude en les accablant : à quoi bon même, ajouterai-je, réfuter des plans de réorganisation que le dogme ci-dessus déclare inoffensifs, puisque leur réalisation serait une solution de continuité ? La vérité est que, si l’on est autorisé à prédire par exemple aux essais de déchristianisation tentés par certains politiques un insuccès partiel, c’est que avec la meilleure volonté du monde ces hommes d’État ne sauraient mettre la main sur toute l’éducation. Mais si leurs programmes pouvaient s’imposer à toutes les familles, de même qu’à tous les collèges et à tous les pensionnats, j’affirmerais sans crainte qu’avant vingt ans le christianisme aurait disparu de la nation. L’histoire des grandes conversions des peuples a de ces tournants brusques à nous offrir. Sont-ils conformes à la doctrine de l’évolution ? Oui, si l’on entend avec moi par évolution (aussi bien vitale que sociale) une continuité purement apparente servant de masque à une discontinuité réelle, à une multiplicité d’initiatives élémentaires distinctes qui s’insèrent les unes sur les autres, appelées les unes par les autres dans une certaine mesure, mais chacune en partie inattendue et surprenante. Sans doute, l’accumulation des petites initiatives individuelles, le plus souvent innomées, qui opèrent le progrès social en temps ordinaire, peut avoir un faux air d’évolution continue ; mais, quand une grande innovation personnelle surgit, elle montre que c’était là une illusion. Je dirais donc volontiers insertion plutôt qu’évolution, ce qui serait résoudre la nébuleuse en étoiles sans la nier aucunement, et ce qui me permettrait de faire à l’idée de révolution sa part de vérité tout en la repoussant dans son ensemble. Cette théorie générale et non pas seulement sociale, à laquelle je me vois conduit, n’est au fond que l’assimilation des organismes aux sociétés, renversement de la sociologie spencérienne qui assimile les sociétés aux organismes. Il me semble en effet que le terme obscur gagne à être expliqué par le terme clair, et non le terme clair par le terme obscur. De fait, on sait combien la biologie asubitement progressé à partir du jour où l’on a vu dans les corps vivants des confédérations de cellules ; et, à vrai dire, depuis que les nations ont été considérées comme des corps vivants, les progrès de la sociologie sont loin d’avoir répondu aux espérances du premier moment. Quand un organisme affaibli devient le siège d’une maladie para-