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spéciale : Quels sont les principaux facteurs du délit qu’il s’agit d’atteindre pour supprimer ou diminuer le délit ? Ce sont les facteurs individuels, tempérament et caractère, dit Ferri ; ce sont les conditions économiques de la société, dit le socialisme. Disons plutôt : Ce sont les idées. Voilà les premiers facteurs de vertus et de vices, de travaux et des délits. Par exemple, un homme mieux nourri, où de race plus vigoureuse et plus intelligente, a plus de force, soit pour produire, soit pour détruire, Le travail productif, certes, suffira à employer son excédent d’énergie, si du moins ses principes ses jugements innés s’opposent comme des digues de plus en plus solides à l’assaut croissant de ses convoitises. Mais s’il en autrement, si, à mesure que le torrent grossit, les digues sont ébranlées et démolies par le travail critique de la conscience même qu’elles défendent, on devine le résultat, dont il faut accuser par suite les idées nouvelles, démolisseuses, et non une meilleure alimentation. Il n’est donc pas indifférent de savoir quelles idées, c’est-à-dire quels principes, en herbe, se répandent dans les sociétés à un moment donné et s’y infiltrent de couche en couche, Car les idées théoriques d’aujourd’hui, ce sont les sentiments moraux de demain. Suivant qu’elles tendent à fortifier les sentiments déjà établis, fondement de la sécurité, de la satisfaction et de l’honnêteté publiques à un moment donné, ou au contraire à les affaiblir sans les remplacer avantageusement, elles agissent dans un sens utile ou nuisible sur la criminalité future. D’où il suit que, si l’on veut réellement tarir les sources mêmes du crime, comme le prétend l’école positiviste des criminalistes italiens, au lieu de se borner à frapper au fur et à mesure ses manifestations, il faut, — avouons-le, — il faut avoir l’œil ouvert sur ce qui se publie et se propage par les livres et les journaux, les cercles et les cafés. Une réglementation sévère de la presse, une congrégation laïque de l’index, ou tout au moins une surveillance rigoureuse des lieux de bavardage public seraient le complément nécessaire et logique de la main mise l’éducation. Avoir plus d’égards d’ailleurs pour la liberté de la presse ou de la boisson que pour les autres droits sacrés de la personne dont on ridiculise le culte excessif dans l’école de Beccaria, ce serait une inconséquence. — Reste à savoir seulement si les avantages de ce despotisme moralisateur compenseraient ses effets désastreux, et je fais plus qu’en douter. Concluons donc que l’action préventive du législateur sur la criminalité ne saurait être qu’indirecte, ingénieuse et détournée, simple affaire d’adresse et de tact médical, et que, pour être des remèdes excellents, les moyens proposés par la nouvelle école italienne — trop longs à exposer ici — sont eux-mêmes des palliatifs.

G. Tarde.