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« reconnaître que l’effet peut être disproportionné a l’égard de la cause », il faut « admettre que nulle part, dans le monde concret et réel, le principe de causalité ne s’applique rigoureusement[1]. » Déjà Jules Lequier avait essayé de réduire le déterminisme à l’immobilité en disant « Tout ce qui est possible est, tout ce qui est doit être une rigoureuse égalité subsiste entre les effets et les causes, sinon ou quelque cause serait sans effet, ou quelque effet serait sans cause[2]. »

Cet argument, qui rappelle ceux des Eléates, confond l’équation de l’effet à la cause avec l’équation des mêmes effets aux mêmes causes. L’identité et l’uniformité des relations n’implique pas l’identité entre les termes de chaque relation. Si égale et si égale j’en conclus que égale , ce qui n’implique nullement que 2 = 4, que 3 = 6. « Proportionnalité » n’est pas identité. Si une certaine quantité d’hydrogène et une autre d’oxygène ont produit de l’eau dans telles conditions, j’affirme que dans les mêmes conditions les mêmes antécédents auront les mêmes conséquents ; il n’en résulte pas que l’oxygène soit identique à l’hydrogène ou à l’eau.

Le changement est sans doute un fait « indéniable »  ; mais il l’est pour tout le monde, et il est inexplicable pour tout le monde ; chacun a le droit de le prendre pour réel et donné. Le seul point en litige, c’est de savoir si les mêmes changements se produisent dans les mêmes conditions, selon les mêmes rapports, selon les mêmes lois. Or, nous venons de voir que le changement des conséquences dans l’identité des principes est précisément une contradiction pour la pensée. Ce n’est donc pas réfuter le déterminisme ni la proportionnalité des effets aux causes que d’invoquer le changement, la nouveauté, le progrès même, car le déterminisme implique non l’identité de l’effet et de la cause, mais seulement un lien dans la nouveauté même, l’identité de la loi selon laquelle se fait le changement. Une « rigoureuse égalité » ne subsiste pas « entre les effets et les causes », sans quoi il n’y aurait point d’effets ; mais une rigoureuse égalité subsiste logiquement entre les effets des mêmes causes, sans quoi ou quelque conséquence serait sans principe, ou la diversité des conséquences contredirait l’identité des principes[3].

  1. Ibid.
  2. Voy. Renouvier. Essais de psych., II, page 394. — M. Renouvier, a répété souvent le même argument, qu’on retrouve aussi chez M. Liard : la Science positive et la métaphysique.
  3. Nous ne saurions donc admettre le raisonnement de M. Boutroux, qui