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FOUILLÉE. — causalité et liberté

En outre, on n’a pas le droit de mêler ici, comme on le fait, le point de vue mécanique de la quantité et le point de vue psychique de la qualité. De ce que des mouvements qui se propagent produisent en nous des sensations de qualités différentes, tantôt des sensations de lumière, tantôt des sensations de chaleur, etc., il n’en résulte pas pour cela qu’il y ait contingence et création, ni dans l’ordre mécanique, ni même dans l’ordre psychique, car il faudrait connaître les éléments primitifs de la sensation pour affirmer qu’il y a dans tel état de conscience quelque chose d’absolument nouveau, qui ne s’explique pas par les états de conscience élémentaires dont il est la fusion et la combinaison.

Enfin, y eût-il vraiment nouveauté absolue dans l’ordre de la qualité, il n’en résulterait pas encore que le nouveau fût le contingent, car le nouveau peut être lié à l’ancien par un rapport qui exclue la possibilité du contraire. La variété des effets n’est pas l’ambiguité des causes. En un mot, loin d’exclure le devenir, le déterminisme est la loi du devenir. Quant au noumène, étant supposé supérieur au devenir, il est par cela même supposé immuable.


IV

liberté intelligible et causalité intelligible

Pour sauver la contingence et la liberté, il ne reste plus, semble-t-il, qu’une ressource : les mettre dans la sphère du noumène, hors du temps comme de l’espace, et identifier la liberté intelligible avec la causalité intelligible. Telle est la solution proposée par Kant.

Elle donne lieu à une objection fondamentale, qui porte sur l’idée-mère du kantisme. L’extemporel n’est pas nécessairement le libre : et ce n’est pas non plus le temps, comme le croit Kant, qui est la vraie cause de la nécessité. Kant nous dit : — Nos actions temporelles sont nécessaires parce que leurs antécédents dans le temps sont passés et conséquemment ne sont plus en notre pouvoir ; — mais n’y a-t-il que les choses passées qui ne soient pas en notre pouvoir, et suffit-il de sauter hors du temps pour que tout se trouve

    s’appuie sur ce principe : on ne peut croire que « tous les possibles soient au fond éternellement actuels ». — Non sans doute, mais la simultanéité et l’éternité ne sont pas indispensables à la nécessité ; il n’est pas indispensable que tous les possibles soient simultanément et éternellement actuels. M. Boutroux ne l’ignore pas : le déterminisme porte sur la série des choses et sur la manière dont elles se suivent dans le temps, non sur ce qu’elles sont ou seraient dans une insondable éternité. Au reste, la spéculation sur les possibles est une illusion métaphysique.