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MARION. — james mill

ans. Ceux qui l’ont connu en ce temps disent qu’il était d’une grande beauté, avec sa jolie tournure, ses cheveux blonds, ses yeux gris clair. Une dame qui a fourni sur lui à M. Bain des renseignements tout personnels parlait avec une vive admiration de sa taille et de sa figure. « Les culottes courtes qu’on portait alors laissaient voir sa jambe, d’une forme achevée ; ses traits rayonnaient d’expression. » Bien que le portrait qu’on a de lui le représente à un âge beaucoup plus avancé, il donne en effet l’idée la plus avantageuse de ce qu’il pouvait être quand la jeunesse ajoutait son éclat à cette physionomie ouverte et fine, où tout exprime, à défaut de sentiments tendres, la lucidité et la force de l’esprit, la loyauté, la décision, l’entrain, l’énergie invincible du caractère.

II

M. Bain a pris la peine de rechercher combien coûtait alors le voyage de Londres, soit par terre soit par mer[1], recherche intéressante en elle-même, mais sans portée biographique. Mill prit sans doute la route de terre, puisqu’on a une lettre de lui à David Barclay, dans laquelle le futur économiste apprécie ce qu’il a pu voir en passant de l’élevage et de la culture des Anglais. Quant à insinuer qu’il fut peut-être amené gratis par sir John Stuart, c’est une conjecture sans intérêt : voilà un exemple, en passant, des discussions trainantes et peu utiles auxquelles s’attarde quelquefois le trop consciencieux biographe.

Que Mill, arrivant d’un hameau d’Écosse, fût émerveillé du mouvement des rues de Londres, et en parlât dans ses premières lettres avec une admiration qui fait sourire, cela prouve chez cet homme fait une certaine naïveté juvénile. On le remarque d’autant plus que la naïveté en général n’était guère un trait de son caractère.

Dans quel dessein venait-il à Londres ? Il ne paraît pas qu’il en eût d’abord de bien arrêté. La politique l’attire, et un de ses premiers soins est d’assister aux séances de la Chambre des communes. Les relations de l’Angleterre avec la France, à propos de la paix d’Amiens, étaient alors le grand sujet des débats. Les orateurs lui parurent diffus, confus et médiocres : il ne fait d’exception un peu chaleureuse que pour Fox, et Shéridan surtout, de qui il entendit « un discours si plein d’esprit et d’exquise raillerie, qu’on n’imagine pas que jamais

  1. Par mer, il durait une semaine et coûtait 5 livres 7 shillings et 8 pence (84 fr. 45 c.). Par terre, « il devait être deux ou trois fois plus cher. »