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plus heureuse improvisation ait pu sortir d’une bouche humaine. Ce n’était point une succession d’étincelles brillantes, c’était comme une flambée continue depuis le commencement jusqu’à la fin. » Ce goût des questions politiques, qui devint chez lui de plus en plus vif, Mill l’avait conçu dès Edinburgh, où la Révolution française était objet d’une curiosité vive, généralement sympathique. Il était partisan de la paix. Dans son ardent désir de conquérir sa place au soleil et de se faire un nom se mêlait déjà secrètement celui d’exercer une action sur l’opinion, de dire tout haut son avis sur la conduite de affaires.

Mais avant tout il fallait vivre, trouver l’emploi de son activité. Il comptait à la fois sur sa parole et sur sa plume : son indécision fut d’assez longue durée ; il frappa en vain à plusieurs portes ; pas un instant, pourtant, il ne se sentit près de perdre courage.

« Je suis, écrit-il à son ami Thomson[1], extrêmement résolu de rester ici à tout prix. À quel point c’est le meilleur théâtre pour un homme de lettres, vous ne pouvez en avoir aucune idée tant que vous ne serez pas-vous même sur le terrain. On sent ici une ardeur, un esprit d’aventure que vous ne sauriez imaginer là-bas, dans notre pays par trop prudent. Ici, tout le monde applaudit aux plus hardis desseins que vous puissiez former ; en Écosse, tout le monde vous retient dès que vous voulez mettre le pied hors du chemin battu. Oui, je resterai ; j’ai même déjà formé des plans pour vous et pour moi. Car il faut absolument que vous veniez ; vous ferez ici tout ce qu’il vous plaira. Vous pouvez vous faire 500 livres par an (12,500 fr.) avec votre plume, et autant par l’enseignement. J’ai fait part à plusieurs personnes de mon idée d’ouvrir une classe de jurisprudence : elles, m’ont assuré que cela ne pouvait manquer de réussir… Je pourrais par là devenir un homme de loi, si un jour le cœur m’en dit. Si vous étiez ici et si nous avions commencé à nous faire un certain nom (nous le pourrions, j’en suis convaincu), qui nous empêcherait de faire paraître un écrit périodique de notre façon ? Je suis sûr qu’il ne tiendrait qu’à nous de le faire plus intéressant que tout ce qui se publié à présent. Et les profits sont immenses avec les publications de ce genre, quand elles se vendent. Nos classes continueraient pendant ce temps-là, aussi bien que telles entreprises plus importantes que nous pourrions mettre en train. La grande difficulté ici, c’est de commencer… »

Cette foi en l’avenir ne se démentit pas ; mais le succès fut lent,

  1. Le port des lettres coûtait onze pence (1 fr. 10) ; James Mill s’épargnait ces frais autant que possible en confiant les siennes à sir John Stuart.