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Saint-James, dont il prit la direction l’année suivante. M. Bain, malgré des efforts extraordinaires pour démêler entre tant d’articles ceux qui semblent être de sa main, n’aboutit qu’à des conjectures, souvent assez peu justifiées. Peut-être le rôle de, Mill était-il surtout administratif. Encore devait-il laisser une singulière liberté à ses collaborateurs, car, sur les questions mêmes qui devaient le passionner le plus, des articles qu’on serait d’abord tenté de lui attribuer sur la seule foi du titre sont d’une inspiration toute contraire à ce qu’on sait de ses opinions et de son caractère. Tel est, par exemple, un article sur Malthus, dans lequel la doctrine de ce philosophe est repoussée au nom du sentiment avec une véritable horreur.

Il est vrai qu’à cette époque notre philosophe n’avait pas encore dépouillé tout à fait le théologien. À plusieurs reprises, dans des articles bibliographiques où il est impossible d’ailleurs de ne pas reconnaître sa plume, il prend à parti tel auteur pour n’avoir pas un assez grand respect de la Bible, tel autre pour faire une apologie trop faible de christianisme, tel autre encore pour ôter à la religion révélée l’appui de la religion naturelle. Avec cela cependant, son libéralisme s’accentue rapidement en politique et en religion même. Son premier écrit signé (1804) est un pamphlet Contre la prétention de limiter l’exportation des grains et sur les principes qui devraient en régler le commerce. L’année suivante, il donne la traduction du livre de Villers sur La Réforme. C’était un ouvrage français de 490 pages, sur ce sujet, mis au concours par l’Institut en 1802 : « Quelle a été l’influence de la réforme de Luther sur la situation politique des différents États de l’Europe et sur le progrès des connaissances ? » Dans la préface de sa traduction, James Mill dit que ce sujet l’avait frappé dès l’origine comme une preuve singulière de liberté d’esprit, de la part d’une grande Compagnie dans un pays catholique romain, et que l’ouvrage l’a ravi, comme contenant une critique sans pitié des vices du système papal et un exposé impartial des bienfaits de la Réforme. En le traduisant, il y ajoute des notes nombreuses, riches de citations et de rapprochements en même temps que d’observations personnelles. Il renchérit sur les passages dans lesquels l’auteur vante la libre recherche ; mais il lui reproche vivement d’être kantiste. On remarque non sans étonnement une extrême sévérité pour Voltaire, Son autorité, dit-il, est de très peu de valeur ; il a employé non seulement des armes loyales, mais des armes empoisonnées contre la religion et la liberté… Tout ce qui pourrait détruire l’admiration qui si longtemps s’est attachée à ses ouvrages serait un bienfait public. » Villers est repris vertement pour avoir parlé des livres de la Bible comme de simples fragments