Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 16.djvu/575

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
571
MARION. — james mill

pays ; or il paraît assez que ses études sur la loi telle qu’elle devrait être, ne l’ont pas amené à partager l’administration de la plupart des juristes pour la loi telle qu’elle est. » À l’occasion d’un projet mis en avant par lord Granville pour la réforme des lois et de la procédure en Écosse, Bentham avait été amené à faire de toute la justice anglaise une critique que son admirateur déclare être « la pièce d’instruction la plus importante qui ait jamais été mise sous les yeux d’une nation. »

À cette même année paraissent remonter les relations personnelles de Mill et de Bentham, qui furent des plus intimes. Bentham avait soixante ans, mais sa grande réputation ne faisait encore que commencer. Mill, qui n’avait été jusque-là le disciple de personne et que son tempérament ne disposait guère à le devenir, le salua aussitôt comme son maître, s’attacha à lui avec tout l’enthousiasme dont il était capable. Il lui sembla dès lors qu’une des fins principales de son activité devait être de répandre les doctrines de ce maître, importantes entre toutes au bonheur de l’humanité. Il ne pouvait se lasser de sa compagnie et venait de fort loin passer la soirée ou diner avec lui. Bentham, pour qui ce commerce ne tarda pas à devenir un besoin, lui offrit bientôt comme résidence Milton house, une maison voisine de sa demeure et qui était sa propriété ; mais au bout de quelques mois il fallut la quitter : elle était trop malsaine pour Mme Mill. Un nouvel éloignement, plus grand que le premier, n’empêcha pas l’amitié des deux philosophes de devenir chaque jour plus étroite. Dès 1809, Bentham, qui louait une maison de campagne pour l’été, prit l’habitude d’y donner l’hospitalité à Mill et à sa famille. Ils passèrent, cette année même, deux ou trois mois chez lui, dans la belle résidence de Barrow Green (Surrey), qui fut beaucoup plus tard habitée par M. et Mme Grote. M. Bain se rappelle avoir rencontré là chez eux, en 1859, Johm Stuart Mill, et l’avoir entendu évoquer les souvenirs de son enfance.

Plus tard, dans l’été de 1814, Bentham, s’étant installé à Ford Abbey, maison de campagne beaucoup plus vaste, dans le Devonshire, voulut encore y avoir auprès de lui toute la famille de Mill, déjà fort accrue. Ils vinrent là quatre ans de suite et y passèrent une fois jusqu’à dix mois sans interruption. En même temps, à Londres, Mill s’établissait de nouveau dans le voisinage de son ami, Queen square, no 4 aujourd’hui Queen Anne’s Gate, 40), dans une maison que celui-ci lui louait à très bon compte et qu’il habita seize années.

Intimité singulière, pourtant, et parfois orageuse. Liés par une profonde estime et par de-rares affinités intellectuelles, ces deux hommes différaient grandement par le caractère, qu’ils avaient tou-