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MARION. — james mill

l’air autour de lui, qui par lui sont devenues communes et peu à peu ont passé dans les faits : voilà son rôle. Pourquoi n’avons-nous pas éprouvé le besoin d’analyser d’ici un seul de ses écrits ? Parce que, si grand que fût leur mérite en leur temps, l’intérêt aujourd’hui en est faible ou du moins tout rétrospectif. Ce qu’ils contiennent est on vieilli, ou passé en lieu commun. L’Analysis of the Mind a été un anneau nécessaire dans l’histoire de la psychologie anglaise contemporaine, a marqué une étape dans le développement de la philosophie associationniste après Hartley ; mais en lui-même ce livre est maigre, il paraîtrait faible aujourd’hui, tant il a été dépassé[1]. De même pour l’essai sur l’Éducation, plein de bonnes choses, malgré l’esprit trop utilitaire, mais qui, tout différent qu’il est de ceux de Locke et de Spencer, n’est pas de nature à faire figure entre eux. De même encore pour le Traité d’économie politique, dont le succès en somme a consisté à faire lire ou à faire naître les livres qui le font oublier. J’en dirais enfin presque autant des articles sur la politique pure et la législation. Tout cela a fait penser et discuter ; en mettant en circulation des idées nettes, tranchantes, bien déduites, l’auteur a influé d’une manière peut-être décisive sur l’histoire d’Angleterre en ce siècle ; mais qu’y a-t-il, comme doctrine, au fond de tous ces écrits ? — La politique et la morale de Locke, modifiées par le progrès des temps et par l’influence combinée de Bentham et de la Révolution française : rien de plus.

En somme, cet excellent esprit de second ordre, tempérant par le bon sens écossais et relevant d’un peu d’idéalisme français les fortes qualités anglaises, est sans contredit un des hommes qui ont le mieux servi son pays. Tout en lui parlant son langage pratique, tout en partageant ses instincts utilitaires, et sans lui demander le sacrifice d’aucune de ses qualités, il est de ceux qui ont le plus contribué à le secouer dans ses traditions, à l’empêcher de s’endormir dans son formalisme.

Si l’égoïsme industriel n’a pas tué chez nos voisins le souci de choses morales, ils le doivent surtout à ces esprits mécontents, grands idéalistes au fond, qui sont toujours en quête d’un abus à dénoncer et d’un mal à combattre, parce qu’ils croient passionnément aux droits de la raison sur les affaires de ce monde.

C’est en grande partie aux hommes comme James Mill que le peuple anglais doit son éducation politique, le développement ininterrompu de ses libertés, l’accession graduelle de ses classes moyen-

  1. Il n’y a plus rien à en dire après l’étude qu’en a faite M. Ribot dans sa Psychologie anglaise contemporaine.