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LES SENSATIONS ET LES PERCEPTIONS

Nous ne pouvons sortir de nous-mêmes pour aller au dehors constater l’existence des objets ; nous nous mettons seulement en rapport avec eux ; et, de cette relation réciproque, nous ne connaissons qu’un terme, la modification subie par notre organisme, ou plutôt encore la sensation qui en résulte. Les philosophes de l’école sensualiste, par des analyses sur lesquelles nous n’avons pas à revenir, parce qu’on peut les considérer comme définitivement acquises à la science, ont démontré que les qualités que nous attribuons aux objets matériels ne sont que les qualités de nos sensations, et que les corps eux-mêmes ne sont que des groupes de sensations diversement combinées.

Entre les sensations ordinaires et celles qui composent une perception, il y a pourtant une différence importante, et que nous ne devons pas négliger dans notre analyse : c’est que les premières nous semblent subjectives, les secondes objectives. Si par exemple un clou me pique la main, c’est à moi que j’attribue la souffrance que j’éprouve ; mais, lorsque je le regarde, c’est à lui que j’attribue la qualité des sensations visuelles qu’il me donne : je ne puis m’empêcher de concevoir l’ensemble de ces sensations comme la couleur et la forme même du clou.

Je ne m’attribue donc à moi-même qu’une partie des actes de mon esprit, à savoir ceux qui présentent l’apparence spéciale de la subjectivité. Tous les autres, et ce sont de beaucoup les plus nombreux, me semblent indépendants de moi, extérieurs à moi : je ne les regarde pas comme des phénomènes psychologiques, mais comme les phénomènes de la nature ; ce sont eux qui constituent ce que j’appelle le monde.

Comment donc s’opère la distinction que nous établissons entre les phénomènes subjectifs et les phénomènes objectifs ? Comme d’ordinaire les sensations sont dues à une cause interne et les perceptions à une cause externe, on pourrait être tenté de croire que c’est à leur