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être prouvé par l’observation relativement à la force et à la persistance des particularités originelles de la nature ou du tempérament, nous devons insister sur cette autre vérité, à savoir que les différences du milieu physique et surtout social ont une grande part dans les différences de capacité et de dispositions que nous rencontrons chez les individus.

Il importe de se rappeler ici que jamais deux individus ne subissent les mêmes influences. Même des jumeaux ont dès l’abord un milieu social différent. Il n’est guère probable que leur propre mère ait à leur égard les mêmes sentiments ou les traite absolument de la même manière ; et les autres personnes montrent dans leurs sentiments et dans leur conduite une divergence encore plus grande. À mesure que nous avançons dans la vie, la somme des influences extérieures qui tend à différencier le caractère individuel augmente. L’école, le lieu de nos occupations, le cercle de nos amis, etc., tout contribue à donner une empreinte particulière à l’intelligence individuelle.

C’est en conséquence de certaines lois psychologiques que de si légères différences dans le milieu produisent nécessairement un effet. L’intelligence croît au moyen de ce qu’elle s’assimile. Les lignes de sa croissance seront jusqu’à un certain point prédéterminées par les capacités et les tendances innées ; mais celles-ci ne fixent pas le caractère précis du processus, elles ne font qu’en tracer les limites générales. La formation des idées particulières et l’association des idées, la fixation des habitudes intellectuelles, la nuance particulière des sentiments et les lignes spéciales de la conduite, tout cela sera déterminé par le caractère du milieu[1].

James Sully.
  1. L’importance des différences originelles entre les aptitudes intellectuelles ainsi qu’entre les dispositions émotionnelles des individus vient d’être démontrée avec une grande force d’argumentation par A. F. Galton dans son ouvrage intéressant : Recherches sur les facultés humaines et leur développement (Inquiries an to Human Facuity and its development). Une preuve de la force et de la persistance des tendances originelles est très clairement présentée dans l’Histoire des jumeaux, M. Galton prend des cas de jumeaux qui se ressemblaient beaucoup et aussi de jumeaux nettement dissemblables, et il cherche à montrer que, dans tous les cas, le résultat final est surtout déterminé par la nature et non par l’éducation. Quelle que soit l’exactitude de ses observations et de ses raisonnements, il se peut que M. Galton ne tienne pas suffisamment compte de l’influence profonde exercée par la différence entre les impressions premières.