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SULLY. — le développement mental

Nature individuelle. — Une telle méthode de mesurage comparatif appliqué aux jeunes enfants confirmerait certainement l’observation journalière des parents aussi bien que des maîtres, à savoir que les enfants sont doués à leur naissance de capacités de différentes sortes à des degrés très inégaux. Chaque individu a une proportion particulière d’aptitudes et de tendances, constituant sa nature ou son naturel, qui est distinct de son caractère postérieur et en partie acquis. Ce caractère naturel est sans doute intimement lié à la forme particulière de son organisme corporel et plus spécialement de son organisme nerveux. La condition des organes sensoriels, du cerveau, du système musculaire, et même des organes vitaux inférieurs, tout sert à déterminer ce que nous appelons l’idiosyncrasie native ou le tempérament de l’individu.

Hérédité spéciale. — C’est un lieu commun de dire que ces traits caractéristiques de l’intelligence individuelle sont déterminés jusqu’à une certaine limite par l’hérédité. Ainsi les membres d’une race ou d’une nationalité, par exemple les Français, ont en commun certains caractères héréditaires, mentaux aussi bien que physiques. Chez les membres d’une même famille, on voit encore plus clairement qu’ils possèdent en commun un certain caractère mental aussi bien que corporel. Le rôle de l’hérédité se remarque sous une forme encore plus restreinte dans la transmission occasionnelle d’un genre défini de talent à travers les générations de quelques familles, comme par exemple du talent musical dans la famille Bach[1].

Cependant, à côté de l’influence de l’hérédité, un autre principe, que nous pouvons appeler la tendance à la variété individuelle, exerce son action. Des variations qui vont jusqu’au contraste frappant, apparaissent dans la même famille. Ces contrastes peuvent quelquefois n’être qu’une autre preuve de l’action de l’hérédité ; ils sont ce qu’on appelle généralement un retour vers quelque type primitif de caractère mental. Mais, dans la plupart des cas, cette opinion ne repose sur aucun fondement certain. Dans l’état présent de nos connaissances, l’hérédité nous sert seulement à rendre compte d’un nombre relativement restreint des particularités innombrables qui constituent la base naturelle d’un caractère individuel.

Variétés d’influence extérieure. — L’ancienne psychologie de Locke et de ses disciples négligeait les effets de la nature individuelle. Les écrivains modernes sont peut-être plus enclins à négliger les effets de l’ « éducation ». Tout en acceptant tout ce qui peut

  1. Pour des preuves plus complètes de cette transmission d’une capacité définie, voy. l’ouvrage de F. Galton, Génie héréditaire.