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sensibilité interne, un toucher intérieur qui fournit au sensorium des renseignements sur l’état mécanique et chimico-organique, de la peau, des muqueuses et séreuses, des viscères, des muscles, des articulations.

Le premier en France, un médecin philosophe, Louis Peisse, réagit contre la doctrine de Jouffroy qui prétendait que nous ne connaissons notre propre corps que d’une manière objective, comme une masse étendue et solide, semblable à tous les autres corps de l’univers, placée hors du moi, et étrangère au sujet percevant au même titre que sa table ou sa cheminée. Il montra, quoique en termes un peu timides, que la connaissance de notre corps est avant tout subjective. Sa description de cette conscience organique me paraît trop exacte pour n’être pas citée tout entière : « Est-il bien certain que nous n’avons absolument aucune conscience de l’exercice des fonctions organiques ? S’il s’agit d’une conscience claire, distincte et localement déterminable, comme celle des impressions extérieures, il est évident qu’elle nous manque ; mais nous pouvons bien en avoir une conscience sourde, obscure et pour ainsi dire latente, analogue par exemple à celle des sensations qui provoquent et accompagnent les mouvements respiratoires, sensations qui, bien que incessamment répétées, passent comme inaperçues. Ne pourrait-on pas, en effet, considérer comme un retentissement lointain, faible et confus du travail vital universel, ce sentiment si remarquable qui nous avertit sans discontinuité ni rémission de la présence et de l’existence actuelle de notre propre corps ? On a presque toujours et à tort confondu ce sentiment avec les impressions accidentelles et locales qui, pendant la veille, éveillent, stimulent et entretiennent le jeu de la sensibilité. Ces sensations, quoique incessantes, ne font que des apparitions fugitives et transitoires sur le théâtre de la conscience, tandis que le sentiment dont il s’agit dure et persiste au-dessous de cette scène mobile. Condillac l’appelait avec assez de propriété le Sentiment fondamental de l’existence ; Maine de Biran, le sentiment de l’existence sensitive. C’est par lui que le corps apparaît sans cesse au moi comme sien et que le sujet spirituel se sent et s’aperçoit exister en quelque sorte localement dans l’étendue limitée de l’organisme. Moniteur perpétuel et indéfectible, il rend l’état du corps incessamment présent à la conscience et manifeste ainsi de la manière la plus intime le lien indissoluble de la vie psychique et de la vie physiologique. Dans l’état ordinaire d’équilibre qui constitue la santé parfaite, ce sentiment est, comme nous le disions, continu, uniforme et toujours égal, ce qui l’empêche d’arriver au moi à l’état de sensation distincte, spéciale et locale. Pour