Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 16.djvu/627

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
623
TH. RIBOT. — les bases organiques de la personnalité

être distinctement remarqué, il faut qu’il acquière une certaine intensité ; il s’exprime alors par une vague impression de bien-être ou de malaise général, indiquant, le premier une simple exaltation de l’action vitale physiologique, le second sa perversion pathologique ; mais, dans ce cas, il ne tarde pas à se localiser sous forme de sensations particulières, rapportées à telle ou telle région du corps. Il se révèle parfois d’une manière plus indirecte, mais pourtant bien plus évidente, lorsqu’il vient à défaillir dans un point donné de l’organisme, par exemple dans un membre frappé de paralysie. Ce membre tient encore naturellement à l’agrégat vivant, mais il n’est plus compris dans la sphère du moi organique, si l’on nous passe cette expression. Il cesse d’être aperçu par ce moi comme sien, et le fait de cette séparation, quoique négatif, se traduit par une sensation positive particulière, connue de quiconque à éprouvé un engourdissement complet de quelque partie, causé par le froid ou la compression des nerfs. Cette sensation n’est autre chose que l’expression de l’espèce de lacune ou de déchet que subit le sentiment universel de la vie corporelle ; elle prouve que l’état vital de ce membre était réellement, quoique obscurément senti, et constituait un des éléments partiels du sentiment général de la vie du tout organique. C’est ainsi qu’un bruit continu et monotone, comme celui d’une voiture où Fon est enfermé, n’est plus perçu, quoiqu’il soit pourtant toujours entendu, car s’il cesse brusquement, sa cessation est à l’instant remarquée. Cette analogie peut aider à faire comprendre la nature et le mode d’existence du sentiment fondamental de la vie organique, lequel ne serait dans cette hypothèse qu’une résultante in confuso des impressions produites sur tous les points vivants, par le mouvement intestin des fonctions, apportées au cerveau soit directement par les nerfs cérébro-spinaux, soit médiatement par les nerfs du système ganglionnaire[1] ».

Depuis l’époque où cette page parut (1844), physiologistes et psychologues ont travaillé à étudier les éléments de ce sens général du corps. Ils ont déterminé ce que chaque fonction vitale apporte pour sa part ; ils ont montré combien est complexe ce sentiment confus de la vie qui par une répétition incessante est devenu nous, si bien que le chercher serait se chercher soi-même. Aussi ne le connaissons-nous que par les variations qui l’élèvent au-dessus du ton normal ou l’abaissent au-dessous. On trouvera dans les ouvrages spéciaux[2]

  1. Note à son édition des Rapports du physique et du moral de Cabanis, pp. 108, 109.
  2. Voir en particulier Bain, Les sens et l’intelligence, partie I, ch. 2, et Maudsley, Pathologie de l’esprit, trad. française, p. 33-42.