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primitivement d’ailleurs. Il n’y a aucune raison d’ordre naturel pour mettre l’homme à part ; seulement ici le développement excessif des facultés intellectuelles et affectives fait illusion et cache les origines.

La personnalité physique, en entendant par ce mot le simple sentiment de l’état de l’organisme, une manière d’être où, par hypothèse, toute conscience claire ou obscure, actuelle où reproduite de quelque donnée extérieure, serait absente, existe-t-elle dans la nature ? Évidemment non, chez les animaux supérieurs, et elle ne peut être posée qu’à titre d’abstraction très artificielle. Il est vraisemblable que cette forme de l’individualité psychique, qui consiste simplement dans la conscience que l’animal a de son propre corps, existe dans les espèces très inférieures, non toutefois dans les plus basses.

Dans celles-ci, — et les individus multicellulaires, c’est-à-dire composés de cellules toutes semblables entre elles, nous en fournissent un exemple, — la constitution de l’organisme est tellement homogène que chaque élément vit pour soi, que chaque cellule a son action et sa réaction propres ; mais leur totalité ne représente pas plus un individu que six chevaux tirant une voiture dans le même sens ne constituent un cheval. Il n’y a ni coordination ni consensus, mais simplement juxtaposition dans l’espace. Si, comme le font quelques auteurs, on attribue à chaque cellule l’analogue d’une conscience (qui ne serait que l’expression psychique de leur irritabilité), on aurait ici la conscience à l’état de diffusion complète. Il y aurait d’un élément à l’autre une impénétrabilité qui laisserait la masse entière à l’état de matière vivante, sans unité même extérieure.

C’est plus haut, par exemple chez les hydres, que l’observation montre un certain consensus dans les actions et réactions et une certaine division du travail. Mais l’individualité est bien précaire : à coups de ciseaux, d’un individu Trembley en faisait cinquante. Inversement, avec deux hydres on en fait une ; il suffit de retourner la plus petite avant de l’introduire dans la plus grande, de manière que les deux entodermes se touchent et se soudent. Autant qu’on peut hasarder une opinion en si obscure matière, l’adaptation des mouvements dénote une certaine unité, temporaire, instable, à la merci des circonstances, qui ne va peut-être pas sans quelque conscience obscure de l’organisme.

Si l’on trouve que nous sommes encore trop bas, on peut à son gré remonter (car toute détermination de ce genre est arbitraire), pour fixer le point où l’animal n’a que la conscience de son organisme, de ce qu’il subit et produit, — n’a qu’une conscience organique. Peut-être même cette forme de la conscience, à l’état pur, n’existe