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TH. RIBOT. — les bases organiques de la personnalité

à la jambe par un chien ; quelques jours après, cette jambe est envahie par un ulcère cancéreux. Gesner se croit mordu, pendant son sommeil, au côté gauche par un serpent ; peu après, au même point se développa un anthrax dont il mourut. Macario rêve qu’il a un violent mal de gorge ; il se réveille bien portant ; quelques heures après, il est atteint d’une amygdalite intense. Un homme voit en songe un épileptique ; il le devient lui-même peu de temps après. Une femme rêve qu’elle parle à un homme qui ne peut lui répondre parce qu’il est muet ; à son réveil, elle est aphone. — Dans tous ces cas, nous saisissons à titre de faits ces incitations obscures qui, des profondeurs de l’organisme, arrivent aux centres nerveux, et que la vie consciente, avec son tumulte et sa mobilité perpétuelle, dérobe au lieu de les révéler.

Il est clair que la foi exclusive accordée si longtemps par la psychologie aux seules données de la conscience devait rejeter dans l’ombre les éléments organiques de la personnalité ; par profession, les médecins, au contraire, durent s’y attacher. La doctrine des tempéraments, vieille comme la médecine elle-même, toujours critiquée, toujours remaniée[1], est l’expression vague et flottante des principaux types de la personnalité physique, tels que l’observation les donne, avec les principaux traits psychiques qui en découlent. Aussi les rares psychologues qui ont étudié les divers types de caractère ont cherché là leur point d’appui. Kant le faisait déjà il y a plus d’un siècle. Si la détermination des tempéraments pouvait devenir scientifique, la question de la personnalité serait bien simplifiée. En attendant, le premier point consiste à se débarrasser de cette opinion préconçue que la personnalité est un caractère mystérieux, tombé du ciel, sans antécédents dans la nature. Si l’on jette simplement les yeux sur les animaux qui nous entourent, on ne fera aucune difficulté pour admettre que la différence du cheval et du mulet, de l’oie et du canard, leur « principe d’individuation », ne peut venir que d’une différence d’organisation et d’adaption au milieu, avec les conséquences psychiques qui en résultent, et que dans la même espèce les différences d’un individu à un autre ne peuvent venir non plus

  1. Henle a essayé récemment (Anthropologische Vorträge, 1871, pp. 103, 130) de rattacher les tempéraments aux divers degrés de l’activité ou tonus des nerfs sensitifs et moteurs. Quand ce degré est au plus bas, nous avons le tempérament phlegmatique. À un haut degré, avec épuisement rapide des nerfs, nous avons le tempérament sanguin. Le colérique suppose aussi un tonus élevé, mais avec persistance dans l’action nerveuse. Le tempérament mélancolique ne peut être défini par la simple quantité de l’action nerveuse : il suppose un tonus élevé, avec tendance aux émotions plutôt qu’à l’activité volontaire,