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personnalité liés immédiatement aux sensations organiques. Comme, par elle-même, la sensibilité générale n’a qu’une valeur psychique assez faible, elle ne produit que des désordres partiels, sauf les cas où l’altération est totale ou brusque.

Commençons par noter un état à peine morbide, connu probablement de tout le monde, qui consiste en un sentiment d’exubérance ou de dépression, sans causes connues. Le ton ordinaire de la vie change ; il s’élève ou s’abaisse. Dans l’état normal, il y a une « euphorie » positive ; il ne vient du corps ni bien-être ni malaise. Parfois, au contraire, les fonctions vitales s’exaltent ; l’activité surabonde et cherche à se dépenser ; tout paraît facile et profitable. Cet état de bien-être, tout physique d’abord, se propage dans l’organisation nerveuse entière et suscite en foule des sentiments agréables, à l’exclusion des autres. Alors on voit tout en rose. Parfois c’est l’inverse : un état de malaise, d’abattement, d’inertie et d’impuissance, et comme conséquences la tristesse, la crainte, les sentiments pénibles ou déprimants. C’est l’heure où l’on voit tout en noir. Dans l’un et l’autre cas, d’ailleurs, aucune nouvelle, aucun événement, rien d’extérieur qui justifie cette joie ou cette tristesse subites.

Assurément, on ne peut pas dire que la personnalité est transformée au sens absolu. Elle l’est relativement. Pour lui et mieux encore pour ceux qui le connaissent, l’individu est changé, n’est plus le même. Traduit dans le langage de la psychologie analytique, cela veut dire : que sa personnalité est constituée par des éléments, les uns relativement fixes, les autres variables ; que, la variabilité ayant dépassé de beaucoup son taux moyen, la portion stable est entamée, mais sans disparaître.

Maintenant si l’on suppose (et cette hypothèse se réalise journellement) que ce changement, au lieu de disparaître à bref délai pour faire retour à l’état normal, persiste ; en d’autres termes, si les causes physiques qui le suscitent sont permanentes, au lieu d’être transitoires, il se forme alors une nouvelle habitude physique et mentale, et le centre de gravité de l’individu tend à se déplacer.

Ce premier changement peut en amener d’autres, en sorte que la transformation augmente toujours. Je n’insiste pas pour le moment. Je voulais simplement montrer comment, d’un état vulgaire, on peut descendre petit à petit jusqu’à la métamorphose complète : ce n’est qu’une question de degré.

Il est impossible, en étudiant les désordres de la personnalité, de déterminer rigoureusement ceux qui ont leur cause immédiate dans les troubles de la sensibilité générale, ceux-ci suscitant, par une action secondaire, des états psychiques d’un ordre supérieur (hallucinations,