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TH. RIBOT. — les bases organiques de la personnalité

sentiments et idées morbides). Je me bornerai aux cas où ils paraissent prépondérants.

On trouvera dans les Annales médico-psychologiques[1] cinq observations que l’auteur a groupées sous ce titre : « Une aberration de la personnalité physique. » Sans chicaner sur l’étiquette, qui en dit peut-être plus qu’il ne convient, on voit, sans cause extérieure, un état organique inconnu, une altération de la cénesthésie, produire un sentiment d’anéantissement corporel. « Au milieu de la plus florissante santé et alors qu’on est en possession d’une exubérance de vie et de force, on éprouve une sensation de faiblesse toujours croissante et telle qu’on craint à chaque instant de tomber en syncope et de s’éteindre. » D’ailleurs la sensibilité est intacte, le malade mange avec appétit et, si l’on essaye d’agir contre son gré, réagit avec une extrême énergie. Mais ce sentiment permanent de faiblesse lui cause une anxiété extrême : il répète qu’il se sent mourir, qu’il s’éteint peu à peu, qu’il n’a plus que quelques heures à vivre. Naturellement sur ce fond tout physique se greffent des conceptions délirantes : l’un se dit empoisonné, un autre prétend qu’un démon s’est introduit dans son corps et « suce sa vie ».

Tenons-nous-en aux conséquences immédiates de l’état physique. Nous trouvons ici cet état d’abattement déjà décrit et connu de tout le monde, mais sous une forme beaucoup plus grave et plus stable. Le désordre mental s’accroit d’autant et se systématise. L’individu tend à n’être plus le même. C’est une nouvelle étape vers la dissolution du moi, quoiqu’elle soit encore loin d’être atteinte.

Ce commencement de transformation, dû à des causes toutes physiques, se rencontre aussi chez les sujets qui se disent entourés d’un voile ou d’un nuage, retranchés du monde extérieur, insensibles. D’autres (et ces phénomènes s’expliquent naturellement par des troubles de la sensibilité musculaire) jouissent avec délices de la légèreté de leur corps, se sentent suspendus en l’air, croient pouvoir voler ; ou bien ils ont un sentiment de pesanteur dans tout le corps, dans quelques membres, dans un seul membre, qui paraît volumineux et lourd. « Un jeune épileptique sentait parfois son corps si extraordinairement pesant qu’à peine il pouvait le soulever. D’autres fois il se sentait tellement léger qu’il croyait ne pas toucher le sol. Quelquefois il lui semblait que son corps avait pris un tel volume qu’il lui serait impossible de passer par une porte[2]. » Dans cette dernière illusion, qui concerne les dimensions du corps, le malade se sent beaucoup plus petit ou beaucoup plus grand que dans la réalité.

  1. Septembre 1878, 5e série, t.  XX, pp. 191-233.
  2. Griesinger, Traité des maladies mentales, trad. Duomic, p. 92.