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médecin de leur rendre la liberté. J’ai vu se reproduire ce fait quelque peu étrange, alors même qu’ils étaient séparés l’un de l’autre par plusieurs kilomètres de distance ; l’un était à Bicêtre, l’autre demeurait à la ferme Sainte-Anne[1].

Plus récemment, le Journal of mental Science[2] a publié deux observations de folie chez les jumeaux, où l’on voit deux sœurs se ressemblant beaucoup par les traits du visage, les manières, le langage, les dispositions intellectuelles « au point que rien ne serait plus facile que de les prendre l’une pour l’autre », et qui placées dans des quartiers différents du même asile, dans l’impossibilité de se voir, présentaient des symptômes d’aliénation mentale exactement les mêmes.

Il faut cependant prévenir certaines objections. Il y a des jumeaux de même sexe qui sont dissemblables, et, bien que les documents ne nous disent pas dans quelle proportion les vrais jumeaux (issus d’un même ovule) présentent ces différences, il suffit d’un seul cas pour qu’il vaille à lui seul là peine d’être discuté. Nous avons énuméré ailleurs[3] les nombreuses causes qui, chez tout individu depuis la conception jusqu’à la mort, tendent à produire des variations, c’est-à-dire des marques qui lui sont propres et le différencient de tout autre. Ici, comme nous l’avons dit, une catégorie de causes doit être éliminée : celles qui viennent immédiatement des parents. Mais l’ovule fécondé représente aussi les influences ancestrales, — 4, 12, 28, influences possibles suivant qu’on remonte aux aïeuls, bisaïeux, trisaïeux, etc. On ne sait jamais que par l’expérience lesquelles prévalent et en quelle mesure. À la vérité, ici c’est le même ovule qui sert à produire deux individus ; mais rien ne prouve que partout et toujours la division se fasse entre les deux d’une manière rigoureusement équivalente pour la quantité et la qualité des matériaux. Les œufs de tous les animaux ont non seulement la même composition anatomique, mais l’analyse chimique n’y peut révéler que des différences infinitésimales ; cependant l’un produit une éponge, l’autre un homme. Il faut donc que cette ressemblance apparente cache des différences profondes, bien qu’elle échappe à nos plus subtils moyens d’investigation. Viennent-elles de la nature des mouvements moléculaires, comme le pensent certains auteurs ? On peut supposer tout ce qu’on voudra, pourvu qu’il soit bien compris que l’œuf est déjà une chose

  1. Psychologie morbide, p. 172. — On trouvera aussi un cas extraordinairement curieux dans les Annales médico-psychologiques, 1863, tome I, p. 319. — Sur la question des jumeaux, on peut consulter l’ouvrage spécial de Kleinwaechter : Die Lekre von den Zwillingen, Prague, 1871.
  2. April 1883.
  3. L’hérédité psychologique, 2e édition, partie II, ch.  iv.