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TH. RIBOT. — les bases organiques de la personnalité

complexe et que les deux individus qui en sortent peuvent n’être pas rigoureusement semblables. Notre embarras ne vient que de l’ignorance des procédés suivant lesquels les éléments primitifs se groupent pour constituer chaque individu, et par suite, des différences physiques et psychiques qui en résultent. Quelques correspondants de Galton lui ont signalé ce fait curieux de certains jumeaux qui sont « complémentaires l’un de l’autre ». Il y a, écrit la mère de deux jumeaux, « une sorte de changement réciproque d’expression entre les deux, telle que souvent l’un paraît plus semblable à son frère qu’à lui-même. » — « Un fait qui a frappé tous mes camarades d’école (le correspondant est un senior wrangler de Cambridge), c’est que mon frère et moi nous étions complémentaires, pour ainsi dire, sous le rapport des aptitudes et des dispositions. Il était contemplatif, poétique et littéraire à un remarquable degré. J’étais pratique, apte aux mathématiques et aux langues. À nous deux, nous eussions fait un homme très convenable. » (P. 224 et 240.) Le capital physique et mental paraît avoir été partagé entre eux non par égalité, mais par équivalence.

Si le lecteur veut bien considérer combien chez l’homme l’organisation psychique est complexe, combien, en raison de cette complexité, il est invraisemblable que deux personnes soient la répétition l’une de l’autre, combien les jumeaux s’en rapprochent à un degré surprenant, il sera invinciblement conduit à penser qu’un seul fait de ce genre bien constaté prouve plus que dix exceptions et que la ressemblance morale n’est que le corrélatif de la ressemblance physique. Si, par impossible, deux hommes étaient faits de telle sorte que leurs deux organismes fussent identiques comme constitution, que leurs influences héréditaires fussent rigoureusement semblables ; si, par une impossibilité plus grande encore, l’un et l’autre recevaient les mêmes impressions physiques et morales au même moment, il n’y aurait plus entre eux d’autre différence que celle de leur position dans l’espace.

En terminant cet article, j’ai quelque honte d’avoir entassé tant de yeux : Tel organisme, telle personnalité. J’aurais beaucoup hésité à le faire, s’il n’était trop facile de montrer que cette vérité a été oubliée et méconnue plutôt que niée, et qu’on s’est contenté de la mentionner presque toujours sous la rubrique vague d’influence du physique sur le moral.

Les faits étudiés jusqu’ici ne peuvent pas tout seul conduire à une conclusion : ils ne font que la préparer. Ils ont montré que, réduite à ses derniers éléments, la personnalité physique suppose les proprié-