Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 16.djvu/649

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
645
notes es discussions

saire un jugement accompagné du souvenir de s’être trompé, du soupçon qu’on pourrait se tromper encore et du désir de voir son avis corroboré par l’assentiment d’autrui[1]. Il ne m’apparaît pas tel. Il n’est pas absurde, je l’avoue, de supposer qu’il le soit pourtant, avec toutes ses nuances et tous ses accessoires ; mais On n’en fournit pas la preuve[2]. L’impossibilité d’atteindre l’objet supposé de la représentation, pour le comparer à celle-ci, est également évidente pour le déterministe et pour l’indéterministe[3]. Celui qui l’a reconnue et qui est, en outre, persuadé que sa représentation ne peut pas être autre qu’elle n’est[4], ne saurait découvrir aucun moyen de discerner l’erreur de la vérité ; cette opposition n’a plus de sens à son point de vue[5]. Ne résultant pas d’une comparaison avec l’objet, qui est impossible, elle se confond nécessairement, si l’on persiste à la maintenir, avec la différence entre une représentation suffisamment prolongée et judicieusement conduite et une représentation hâtive et irrégulière ; mais on ne peut comparer les représentations entre elles sous ce point de vue sans s’attribuer le pouvoir de soutenir et de diriger son attention[6]. Incapable de comparer l’image à son objet, le déterministe qui ne s’attribue aucun pouvoir sur elle n’a point de motif non plus pour la comparer à celles des autres, qui sont aussi nécessairement ce qu’elles sont[7]. Ainsi les catégories de l’erreur et de la vérité disparaissent[8] ; voilà ce que nous avons voulu dire, et nous ne voyons pas qu’on l’ait réfuté.

5o Passant à la portée morale de son point de vue, M. Fouillée estime

  1. En quoi le souvenir, la prévision et le désir peuvent-ils rendre un jugement libre ? La prévision et le souvenir le rendent éclairé, le désir le rend passionné.
  2. C’est aux partisans du libre arbitre qu’incombe la preuve ; à eux de démontrer la prétendue impossibilité, pour le déterministe, de se souvenir qu’il s’est trompé, d’associer à son opinion actuelle la pensée de l’erreur possible, de désirer la vérité, etc.
  3. De quel objet et de quelle représentation s’agit-il ? des objets de science ou des objets de spéculation métaphysique ? M. Secrétan a dit ailleurs : « Faire avancer la science, c’est amener l’uniformité des représentations… Cet accord s’obtient par la vérification. » C’est donc la vérification qu’on prétend interdire aux déterministes ?
  4. Elle ne peut être autre au moment où elle est, mais elle peut devenir autre par l’emploi de la méthode. Toujours l’argument paresseux. Déjà M. Secrétan avait dit : « Comment puis-je proposer à quelqu’un de changer d’avis, s’il est vrai que chacun de nous ne puisse penser que ce qu’il pense. »
  5. C’est, au contraire, au point de vue de ceux qui font dépendre nos jugements des décisions du libre arbitre que l’opposition de la vérité et de l’erreur n’a plus de sens.
  6. Second argument paresseux. Pour le déterministe, l’attention n’est pas moins dirigeable que pour l’indéterministe, mais dirigeable selon des motifs. D’ailleurs, l’attention, libre ou non, n’est pas le jugement.
  7. Troisième argument paresseux. Les déterministes peuvent comme les autres comparer leurs représentations : 1o entre elles, 2o avec celles d’autrui, 3o avec les lois générales de l’esprit et de la logique.
  8. Oui, dans l’hypothèse où nos jugements dépendent de notre libre arbitre subjectif.