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SOURIAU. — les sensations et les perceptions

sations me sont données par les organes des sens que je les déclare objectives, car ces mêmes organes, comme nous le verrons plus tard, peuvent nous donner des sensations qui présentent le caractère de la subjectivité la sensation ne doit donc pas se distinguer de la perception par la différence des organes sentants, mais par la différence des sensations éprouvées. — La sensation de migraine n’est qu’imparfaitement localisée ; la perception de ce livre l’est parfaitement. Ici, par conséquent, la différence tirée de la localisation est bien marquée. Mais il y a des sensations que je rapporte à un point déterminé du corps, comme une piqûre d’épingle, et des perceptions que je ne rapporte à aucun lieu précis, comme un coup de tonnerre. Si donc la différence signalée consiste dans la netteté plus ou moins grande avec laquelle les phénomènes sont localisés, on voit qu’elle est tout à fait insuffisante. On pourrait, il est vrai, la présenter autrement, en disant que je localise mes sensations en moi, mes perceptions hors de moi ; les unes me paraissent intérieures, les autres extérieures. Cette différence suffirait sans aucun doute, car il est certain que ce qui me paraît situé hors de moi ne peut manquer de me paraître étranger à moi, indépendant de moi. L’extériorité implique bien l’objectivité : mais alors, et par cela même, elle ne peut nous servir à l’expliquer. Si ce qui est extérieur est à plus forte raison objectif, cherchons d’abord pourquoi certaines sensations nous paraissent objectives ; cela fait, nous aurons à expliquer encore comment, à ce premier caractère, vient s’ajouter celui de l’extériorité, qui le comprend et le complète. — Enfin la différence que l’on tire de la notion d’étendue me semble devoir être écartée également, parce qu’elle ne subsiste pas toujours. Il est en effet des sensations qui occupent une certaine surface ou même un certain volume de mon organisme, tandis que certaines perceptions, et notamment celles de sons, ne me semblent avoir aucun rapport avec l’étendue. — Il ne nous reste plus à examiner que la différence qui consiste dans la complexité plus ou moins grande des sensations. C’est ce caractère que nous déclarons fondamental, et que nous regardons comme le véritable criterium de l’objectivité.

I. Analyse de la notion d’objectivité.

§ 1. Le criterium de l’objectivité. Supposons, pour reprendre l’ingénieuse hypothèse de Condillac, que nous soyons comme une statue qui serait douée seulement de la faculté de sentir. Si l’on approche une rose de nos narines, nous éprouverons une sensa-