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notes es discussions


LES FORCES FONCTIONS DU TEMPS

Nos lecteurs ont encore présentes à la mémoire les études si remarquables et si approfondies publiées dans la Revue par M. Delbœuf[1] et par M. Fouillée[2] sur la question du déterminisme et de la liberté. Je n’en veux rappeler qu’un point tout spécial, relatif à la possibilité d’une conciliation entre les théorèmes de la mécanique et la négation de la nécessité absolue de tous les phénomènes ; il résulte de la discussion approfondie à laquelle se sont livrés les deux brillants champions des deux thèses opposées qu’ils sont d’accord pour regarder les actions libres, si elles existent, comme devant être représentées mécaniquement par des forces fonctions du temps.

On ne peut d’ailleurs avoir aucune raison de supposer que l’un ou l’autre n’ait pas une connaissance parfaitement claire, exacte et pré-

    un miracle intérieur. Nous avons montré ailleurs que, pratiquement, l’action de l’idée rend compte de tout ce qui est attribué au libre arbitre : elle en est donc l’équivalent. Théoriquement, ce n’est pas au libre arbitre que nous tendons, car le libre arbitre enveloppe une impossibilité théorique ; c’est à un mode de liberté et d’indépendance supérieure, identique à la moralité idéale ; et c’est par rapport à ce terme suprême que nous avons établi dans notre livre des approximations successives, permettant à l’homme un progrès indéfini. La philosophie du libre arbitre a détourné le mot liberté de son vrai sens et de son sens primitif pour en faire une force à double effet. Libres dans le bien et dans le désintéressement, nous n’avons pas besoin de l’être dans le mal et dans l’égoïsme, vraie servitude. L’évolution est toujours déterminée, mais en raison composée de la tendance radicale à la liberté et des nécessités extérieures au milieu desquelles a lieu son dégagement. Montrer que la liberté est tout au moins notre idéal et que cet idéal se réalise de plus en plus en se concevant, c’est laisser la porte ouverte à ceux qui croient que la réalité dernière n’est pas essentielle en une antinomie avec cet idéal et qu’il y a une puissance de bonne volonté en toutes choses, puissance immanente, active, non plus transcendante et oisive.

    En somme, M. Secrétan — comme l’a fait ailleurs M. Renouvier — répète ici des arguments auxquels nous avons mainte fois répondu ; en y faisant nous-même ici une plus longue réponse, nous craindrions d’abuser de l’attention des lecteurs. Nous n’ajouterons donc qu’un mot. Ce n’est pas une « mauvaise action » que de travailler à détruire ce qu’il y a d’illusoire dans la croyance vulgaire au libre arbitre, tout en maintenant ce qu’il peut y avoir de vrai et d’utile dans l’idéal de liberté dont elle n’est qu’une formule inexacte.

    Les théologiens et même les moralistes, tout comme les hommes d’État, ont toujours vu des « mauvaises actions » dans les opinions qui dérangent les idées reçues ; pour Le philosophe au contraire (M. Secrétan ne l’ignore pas), la mauvaise action serait de ne pas chercher toute sa vie la vérité avec une sincérité absolue, de ne pas renoncer franchement à toute opinion dont on a compris l’erreur ou l’incertitude, de ne pas avoir une foi assez grande dans la vérité pour croire qu’elle sera toujours utile, alors même qu’au premier aspect elle peut sembler sévère où triste.

    Alfred Fouillée.

  1. Mai, juin et août 1882.
  2. Décembre 1882, avril, juin et juillet 1883.