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cise de la signification de cette formule ; mais pour rendre leur pensée sous des formes plus saisissantes, pour la traduire d’une façon plus appropriée aux habitudes de la majorité de leurs lecteurs, tous deux ont employé des métaphores et des images qui ne pouvaient que correspondre plus ou moins imparfaitement à ce concept de forces fonctions du temps, qui ont peut-être, par suite, suscité quelques idées erronées, ou entraîné quelque méprise sur le sens véritable et la portée effective des conclusions attaquées et défendues de part et d’autre.

Lorsque je suis moi-même intervenu sur ce point spécial de la discussion[1], je ne me suis point davantage préoccupé de ce danger qui ne m’a frappé qu’à une seconde lecture de la série des articles dont il s’agit. Peut-être cette préoccupation est-elle en réalité sans objet ; j’ose espérer toutefois que nos lecteurs ne trouveront point absolument inutiles les quelques remarques qui vont suivre.

Toute force qui n’est pas constante varie nécessairement avec le temps, et de telle sorte que, pour chaque instant donné, elle a une valeur unique et parfaitement déterminée, qu’on puisse d’ailleurs ou non l’assigner par le calcul. À ce point de vue, toute force variable est donc fonction du temps. Mais ce n’est point de ce sens général qu’il s’agit pour la question qui nous occupe.

Le fait est que la plupart des forces dont on admet l’existence dans la physique mathématique sont d’une espèce toute particulière, à laquelle les tenants de la conversation de l’énergie prétendent d’ailleurs ramener l’universalité des forces de la nature. On conçoit fictivement la matière comme condensée en des points dits matériels, et c’est entre ces points et suivant la droite qui les joint que l’on regarde les forces comme s’exerçant par actions et réactions égales, contraires, et variant en fonction de la distance des deux points matériels considérés, c’est-à-dire de telle façon qu’à chaque valeur de cette distance correspond une valeur unique et déterminée de la force.

Quant au théorème de la conservation de l’énergie, il se déduit d’une équation qui existe en général entre la demi-variation de la force vive d’un système de points matériels, pendant un temps donné, et le travail total, pendant ce même temps, des forces qui actionnent ce système. Ce travail se calcule en partant de l’expression analytique des forces, expression dans laquelle peuvent entrer, en prenant le cas le plus général, les coordonnées qui déterminent la position des points du système dans l’espace à chaque moment, mais où peut entrer tout aussi bien le temps. Toutefois il est clair que, si le mouvement du système est connu, on peut supposer le temps éliminé au moyen des relations qui déterminent la variation dans le temps des coordonnées des points du système. Les forces apparaissent alors comme fonctions de ces coordonnées, et leur dépendance par rapport au temps n’est plus en évidence.

  1. Janvier 1883.