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qui les joint, je dis que, pour un mouvement écoulé (c’est-à-dire tel que tous ceux qui peuvent être l’objet d’une observation), il est toujours loisible, quand même ce mouvement aurait été plus ou moins libre, de se représenter les forces comme exclusivement fonctions de la distance.

Pour faire bien saisir la portée de cette remarque, je vais prendre un exemple aussi simple que possible. Je supposerai deux points matériels isolés, l’un A, fixe, l’autre B, doué d’une vitesse initiale quelconque et attiré vers A en raison inverse du carré de la distance ; on sait qu’il tendra à décrire suivant une certaine loi déterminée une section conique dont le point A sera un foyer.

Mais je veux supposer en outre que le point B est libre en réalité de suivre une trajectoire quelconque. Pour concilier cette hypothèse avec la précédente et avec les principes admis en mécanique, il me suffit d’admettre que, en dehors de l’attraction nécessaire en raison inverse du carré de la distance, le point B est susceptible de développer sur le point A à chaque moment une force que j’appellerai libre et telle que la réaction égale et contraire exercée par A sur B, s’unissant par addition ou soustraction avec l’attraction nécessaire, soit capable de déterminer le mouvement de B suivant la trajectoire voulue.

Que cette trajectoire soit, par exemple, une ellipse ayant A pour centre, au lieu de l’avoir pour foyer ; pour quiconque observerait le mouvement, le point B apparaîtrait dès lors comme sollicité par une force totale attractive proportionnelle à la distance , soit , et, si la force nécessaire est , la force libre aura pour expression , le théorème de la conservation de l’énergie étant d’ailleurs applicable pour tout le temps que durera le mouvement sur l’ellipse ayant son centre en A.

J’ai volontairement admis que le point libre choisissait une trajectoire très simple ; mais on peut la compliquer à plaisir ; si capricieuse qu’on la suppose pendant le laps de temps de l’observation, qui ne peut être infini, il sera toujours loisible de la regarder pendant ce temps comme définie analytiquement, au moins avec une approximation supérieure à l’exactitude des observations ; il s’ensuivra dès lors dans les mêmes limites de temps que la force, libre par hypothèse, sera également déterminée analytiquement, comme fonction seulement de la distance des points A et B, et que par suite le théorème de la conservation de l’énergie sera applicable.

Ainsi l’observation du passé, dès qu’on cherche à déterminer la loi de variation de la force, nous la montre indifféremment liée soit à la distance, soit au temps, auquel on pourrait tout aussi bien rapporter la force, ainsi que je l’ai fait remarquer en commençant ; mais en tout cas la liaison est précise, et on peut mathématiquement en déduire les variations pour l’avenir.

Or il est clair que cette déduction est absolument contradictoire