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physique d’unification » est destinée à un irrémédiable échec[1].

Pour unifier la connaissance, il faut s’élever au-dessus de la science positive. M. Spencer l’a compris, et à certains égards on ne peut lui en faire aucun reproche. Rien n’est plus vraisemblable que cette explication (l’expérience la vérifiera peut-être un jour), en vertu de laquelle les facteurs constitutifs de l’univers se ramènent à l’unité ; aussi bien l’unité seule est-elle absolument irréductible. Une matière douée de forces attractives et répulsives, ne voilà-t-il pas l’élément qui se retrouve au fond de tout, le substratum universel, pour ainsi parler ? Essayez pourtant d’expliquer la conscience. Si la conscience est un des facteurs élémentaires du monde, que devient le principe de la persistance de la force ? Peut-on se flatter de découvrir entre la force consciente et les autres forces physiques une relation analogue à celle de la chaleur avec l’électricité par exemple[2] ? Si la conscience n’est pas dès l’origine des choses, comment comprendre qu’elle puisse éclore plus tard ?

En d’autres termes, le tort d’Herbert Spencer a été de croire qu’à l’aide du général on pouvait rendre raison du particulier, Ainsi, rien ne résulte à priori du principe de la persistance de la terre, rien, absolument rien, pas plus que de l’immutabilité divine ne résulte la création du monde. Par quel étrange oubli de sa proposition fondamentale M. Spencer a-t-il osé rattacher au principe en question la loi de l’instabilité de l’homogène ? Qui dit persistance dit stabilité ; ainsi du moins paraît l’exiger la logique. Mais nous prenons mal la pensée de M. Herbert Spencer. Quand il nous parle de l’instabilité de l’homogène, il n’entend pas du tout un état primitif de l’univers où tout serait homogène ; il veut nous expliquer simplement pourquoi et comment une matière homogène ne peut subir l’action des forces environnantes sans dépouiller peu à peu son homogénéité primitive. Que cela ne soit point contraire à la loi de la persistance de la force, il se peut ; mais cela peut-il s’en déduire à priori ? Il le faudrait pour que M. Spencer eût raison,

N’oublions pas d’ailleurs que le principe de la persistance de la force ne saurait offrir la moindre garantie tant que l’on maintiendrait au terme « force » le sens que lui a donné M. Spencer. Ni la force, ni la matière, ni le mouvement ne sont pour M. Spencer ce qu’ils sont pour tout le monde : matière, mouvement, force, ce sont là de purs symboles, verba et voces. Donc l’unification de la science est un but qu’il faut désespérer d’atteindre.

II. L’échec de M. Spencer dans ce que nous nous permettrons d’appeler la partie progressive de son système est aussi complet que possible. Arrivons à la partie régressive et consultons les œuvres du maître qui fait suite aux Premiers principes. La Psychologie, la Biologie nous permettront peut-être l’une ou l’autre de trouver une formule de synthèse décidément féconde.

  1. Ibid., p. 37 et suiv.
  2. Cf. p. 54.