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nistes des réflexions décourageantes, et pourtant M. Malcolm Guthrie entend rester favorable à la doctrine de l’évolution. Il le dit dans sa préface pourquoi donc cette lutte obstinée contre le représentant le plus justement attitré de l’évolutionnisme contemporain ? Pourquoi livrer une bataille de quatre cent soixante-seize pages à un adversaire qu’on ne peut se résoudre à traiter en ennemi ? Il y a mauvaise grâce à douter de la bonne foi d’un écrivain. Aussi ne voudrions-nous pas suspecter les convictions évolutionnistes de M. Malcolm Guthrie. Toutefois, malgré notre désir d’être juste, nous cherchons en vain les raisons que pourrait alléguer ce dialecticien habile en faveur d’une thèse qu’il combat si résolument, si âprement. Sans doute l’évolutionnisme à en juger par les dissidences qui se produisent au sein des évolutionnistes mêmes comporte plusieurs formes, plusieurs méthodes d’explication. Il y a l’évolutionnisme matérialiste (M. Guthrie s’exprime partout comme s’il en était l’adversaire irréconciliable) ; il y a l’évolutionnisme spiritualiste il y a l’évolutionnisme scientifique. De quel côté sera M. Guthrie ? On le voudrait savoir. Plus on regarde de près cependant, plus il semble que faire à l’évolutionnisme sa part, et ne lui faire que sa part, ce n’est guère prendre parti pour la doctrine de l’évolution, qui est une doctrine essentiellement métaphysique. D’autre part, se ranger du côté des évolutionnistes spiritualistes, c’est admettre, avec Aristote, l’antériorité de l’acte sur la puissance, du supérieur sur l’inférieur ; autant vaudrait rejeter une fois pour toutes la logique du système.

Cette logique est-elle ou n’est-elle pas le contre-pied de la vraie logique ? Ce n’est pas le lieu de l’examiner. En tout cas, il est clair comme le jour que les principes invoqués par les adversaires de la philosophie de l’évolution contre ceux qui la défendent sont précisément et très décidément battus en brèche par tous les représentants de l’évolutionnisme. Ils ont leur logique à eux. On leur demande d’expliquer l’apparition d’une loi nouvelle on exige qu’ils rendent raison des phénomènes biologiques, sans introduire aucun élément étranger à l’étendu et au mouvement. On leur demande trop. Si les lois nouvelles sont définitivement irréductibles aux lois précédemment manifestées, l’évolution est condamnée ; si, d’autre part, on ne constate l’intervention apparente d’aucun facteur additionnel, l’hypothèse de l’évolution est inutile. En d’autres termes, ni M. H. Spencer ni Haeckel n’admettront la prétendue nécessité qu’invoquent leurs adversaires immédiats, je veux dire la nécessité que l’acte précède la puissance. La logique d’Aristote ne sera jamais la leur. Non seulement on disputera toujours sur les conséquences, mais toujours on disputera sur les principes et voilà pourquoi, en dépit des objections fortes, subtiles et parfois très embarrassantes de M. Malcolm Guthrie, M. Herbert Spencer peut se considérer comme invaincu je n’ai pas dit invincible de mémoire d’homme, aucun philosophe ne l’a été.

Lionel Dauriac.