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sortir de lui-même et aller poser en dehors de lui le Non-Moi ? De telles théories pouvaient paraître spécieuses quand les philosophes n’étudiaient la perception que dans l’esprit de l’homme, et surtout en eux-mêmes, c’est-à-dire dans leur esprit de philosophes. Leur invraisemblance devient évidente, sitôt que l’on fait un peu de psychologie comparée. Au contraire, nous croyons que notre théorie, qui élimine du fait primitif de la perception tout raisonnement et toute opération intellectuelle, peut être étendue sans inconvénient à tous les êtres doués de la faculté de percevoir. Je ne dis pas qu’elle soit parfaitement simple et claire ; car il est difficile de substituer une théorie quelconque à des systèmes auxquels on reproche leur subtilité sans tomber soi-même dans ce défaut ; mais je dis qu’elle réduit la perception même à un fait parfaitement simple et clair, car elle revient à dire que la notion d’objectivité apparaît en nous, que la perception se produit par le seul fait qu’un groupe déterminé de sensations apparaît dans la conscience. — Resterait, il est vrai, à expliquer comment ces groupes peuvent se former. Leur formation dépend sans doute de conditions très nombreuses et souvent difficiles à déterminer. Un enfant par exemple, ayant les yeux ouverts et immobiles, voit un flambeau qui brille près de son berceau. Pour expliquer ce simple fait de perception, il serait nécessaire d’énumérer toutes les conditions qui le rendent possible il faut que le flambeau envoie sa lumière jusque sur la rétine de l’enfant ; il faut que les différents points de cette rétine soient doués d’une sensibilité propre et indépendante ; il faut que chacun de ces points, grâce à la structure particulière de l’œil, soit éclairé par un point correspondant de la flamme, et par celui-là seul. C’est en vertu de toutes ces conditions, dont on pourrait prolonger indéfiniment la liste, que pourra apparaître dans la conscience de l’enfant ce groupe de sensations bien défini qui forme la perception d’un flambeau. Mais toutes ces conditions, l’enfant n’a pas besoin de les connaître pour percevoir : par le seul fait qu’il est organisé comme il l’est et que cette flamme est là, il la perçoit. Il n’a rien à s’expliquer, aucun raisonnement à faire ; il n’a pas besoin de réfléchir sur les sensations qu’il éprouve et d’en tirer par induction l’affirmation de l’objet ; ses sensations se sont ordonnées et combinées spontanément en forme d’objet ; l’objet est entré de lui-même dans sa conscience. — Plus tard, l’enfant pourra développer ces perceptions rudimentaires et en faire de véritables connaissances scientifiques ; il palpera les objets pour se mieux rendre compte de leur forme ; il les approchera et les éloignera de lui pour mieux apprécier leur grandeur. Par un grand nombre d’expérimentations de ce genre, il arrivera à se