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SOURIAU. — les sensations et les perceptions

résistance que ne le fait la simple sensation de courbature. — Les deux notions d’objectivité et de subjectivité me sont donc données par des sensations réellement différentes. Ce qui peut me faire croire que ces deux sensations n’en font qu’une, c’est que dans la plupart des cas elles sont simultanées et même proportionnelles l’une à l’autre. D’ordinaire en effet, quand je fais un effort contre un objet, il exerce une certaine pression sur ma peau, et cette pression est d’autant plus forte que la tension de mes muscles est plus énergique. Mais cette corrélation ne se maintient pas toujours : si je pousse un objet de faible masse, à l’instant où il me cède, la résistance devient tout à coup moindre que la puissance. Ces deux notions peuvent même être séparées complètement. Quand j’étale ma main sur cette table et pose un livre au dessus, j’éprouve une sensation de pression qui n’est accompagnée d’aucune sensation d’effort. Si je lance mon poing dans le vide, ou si je contracte à la fois les muscles antagonistes du bras, j’éprouve une sensation d’effort très énergique, qui me donne très clairement la notion de puissance, sans être pourtant accompagnée d’aucune sensation de résistance. — On voit par ces divers exemples, notamment par le dernier, que la sensation d’effort musculaire, considérée en elle-même, nous paraît uniquement subjective.

§ 4. Sensations objectives. Les sensations que nous donnent le toucher, l’ouïe et la vue sont si complexes, si bien différenciées, qu’elles ont au plus haut point le caractère de l’objectivité. — Lorsque je palpe un objet, j’en explore toute la surface, je moule ma main sur lui, je le presse, je le soupèse, et j’unis ainsi en un seul groupe un très grand nombre de sensations diverses, simultanément ou successivement reçues. De plus, en même temps que je palpe cet objet, j’en imagine la forme visible : car il est à remarquer que d’ordinaire nous ne nous servons de notre toucher que comme d’une indication pour la vue, et que notre imagination transpose immédiatement en forme visible la forme tangible des objets. De là une nouvelle série de sensations qui viennent s’ajouter au groupe déjà formé. — Quand j’écoute une symphonie, j’entends à la fois des notes données par un grand nombre d’instruments ; et chacune de ces notes, ayant un timbre spécial, doit être regardée comme un véritable concert de notes harmoniques. Il ne faudrait pas, il est vrai, exagérer cette complexité des perceptions auditives : étant donnée la structure relativement simple de l’organe de l’ouïe, il n’est pas vraisemblable que je puisse entendre de chaque oreille un bien grand nombre de sons à la fois ; il est plus probable que, de toutes ces vibrations so-